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impression d’apaisement s’en dégage, et rien, dans l’art grec tout entier, si ce n’est quelque statue, de la famille de la Vénus de Milo, ne donne mieux l’idée de la perfection dans la mesure. Le style, plus simple, moins épique, voisin, dans sa discrète élégance, de la prose la plus unie ; les caractères, moins sommaires, moins entiers, d’une psychologie plus analytique, plus fine, plus subtile ; la conception même du drame, moins homogène peut-être, mais plus libre et plus variée, tout y concourt au même effet. L’humanité d’Eschyle, — ses Prométhée, ses Agamemnon, ses Clytemnestre, — était encore héroïque, au sens grec du mot, plus éloignée de la nôtre et de la douceur même des mœurs de son temps : celle, de Sophocle, — son Antigone, son Electre, son Œdipe, — s’est rapprochée de la nôtre. Elle n’en diffère déjà plus que par la noblesse instinctive, naturelle, des sentimens ou des attitudes ; mais elle est toute pénétrée de vie ; et, s’il est vrai que tout mouvement s’y range ou s’y contraigne encore et s’y gouverne sous la loi de la beauté, le voici, sous la forme de la passion, qui s’accélère, se précipite, et qui fait triomphalement son entrée ou son invasion dans l’art grec avec la tragédie d’Euripide.

Nous avons d’Euripide, fils de Mnésarchidès, né à Salamine en 480, et mort en 406, dix-sept tragédies et un drame satyrique. Le drame satyrique, le Cyclope, est précieux, comme étant le seul monument qui nous reste du genre. Les dix-sept tragédies sont : Alceste, Médée, Hippolyte, les Troyennes, Hélène, Oreste, Iphigénie à Aulis, les Bacchantes, Andromaque, Hécube, Electre, les Héraclides, la Folie d’Hercule, les Suppliantes, Iphigénie en Tauride, Ion et les Phéniciennes. A peine est-il besoin d’ajouter que ces dix-sept tragédies ne représentent que la moindre partie de l’œuvre d’Euripide, et les catalogues ne lui attribuent pas moins de quatre-vingt-douze pièces.

On ne peut à ce propos s’empêcher de faire deux observations : la première que, selon le mot d’Aristote, la tragédie grecque a tourné tout entière autour de trois ou quatre, familles ; et la seconde que ni le vieil Eschyle, ni Sophocle, ni Euripide ne semblent s’être souciés qu’un autre eût traité avant eux les sujets de leur choix. C’est qu’en effet les contraintes qui s’imposaient à la tragédie grecque ne lui permettaient pas, comme le permettra plus tard à Shakspeare ou à Lope de Vega la liberté du drame, de choisir, presque indifféremment toute espèce