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Thèbes, Prométhée enchaîné, Agamemnon, les Choéphores et les Euménides. Ces trois dernières, formant ensemble ce que les Grecs appelaient une « trilogie, » sont quelquefois enveloppées sous le nom commun de l’Orestie. « Les Suppliantes paraissent la plus ancienne des pièces qui viennent d’être nommées (A. et M. Croiset, ÏIÏ, p. 172). » Les Perses sont de 472. Et si l’on admet enfin que l’Orestie a été jouée en 458, — c’est-à-dire deux ans avant la mort du poète, — il devient intéressant de suivre, au moyen de la chronologie de son œuvre incomplète, le progrès de sa « manière, » et celui de la tragédie elle-même vers la perfection de son genre.

Si en effet les Suppliantes ne sont guère qu’une élégie dramatique, il y a, en revanche, dans l’Orestie, autant d’action qu’il en fallait pour défrayer toutes les tragédies dont la famille des Atrides a fourni depuis lui le sujet. « De toutes les pièces d’Eschyle, nous dit M. Maurice Croiset, les Choéphores sont celle qui répond le mieux à l’idée que nous nous faisons de la tragédie. » Ne pourrait-on le prétendre également de l’Agamemnon, sinon des Euménides ? C’est sans doute aussi dans cette trilogie mémorable, dont il faut dire qu’elle est une des grandes choses de l’esprit humain, que nous pouvons le mieux saisir, à cause de l’ampleur de développement que la liaison des trois pièces y donne à la pensée du poète, la « philosophie d’Eschyle. » Ebauchée dans les ombres ou dans la nuit du crime, et comme asservie dans l’Agamemnon à toute la « puissance des ténèbres, » la tragédie, avec les Euménides, s’achève dans la lumière, et arrache l’homme à la fatalité que faisaient peser sur lui l’hérédité du crime, la jalousie des dieux, et l’implacabilité du destin. Emancipation et illumination progressives, c’est sous une autre forme, moins symbolique, plus humaine, moins éloignée de la vie commune, l’idée qui circulait dans le Prométhée enchaîné, ou pour mieux dire encore, la « leçon » qui s’en dégageait. Loin de nous les dieux barbares et sanguinaires que s’était forgés la primitive humanité ! S’ils existent, nous avons en nous de quoi braver leur Némésis, et, s’ils n’existent pas, c’est l’homme qui deviendra quelque jour à lui-même son dieu ! Et cela sans doute est « religieux » en un certain sens, quoiqu’en un certain autre sens on soit tenté d’y voir la formule même de « l’irréligion ; » mais ce qu’il nous paraît un peu plus difficile d’y retrouver, c’est la célébration d’un « rite de la religion dionysiaque. » Disons