Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 6.djvu/134

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de controverse entre évolutionnistes. Mais ce qui n’est pas douteux, c’est que la nature de l’organe « détermine » ou « conditionne » celle de la fonction. On joue nécessairement sous le masque d’une autre façon qu’à visage découvert, et cette autre façon de jouer exige nécessairement une psychologie qui lui soit appropriée : sommaire, générale et typique. C’est pourquoi, dans une histoire de la tragédie grecque, on devra toujours donner une place considérable, et la première en ordre, ou en date, à ces questions d’organisation matérielle du théâtre. De l’examen d’une coquille, un naturaliste qui connaît son affaire sait induire jusqu’aux mœurs de l’animal qui l’habitait dans les temps antédiluviens. La connaissance du dehors mène à celle du dedans. Si nous voulons nous former de la tragédie grecque une idée complètement fausse, nous n’avons qu’à la voir jouer dans les conditions où se jouent nos tragédies modernes. Cette idée est peut-être plus fausse encore, plus éloignée de la réalité, quand les acteurs de la Comédie-Française nous représentent l’Œdipe roi de Sophocle sur le théâtre d’Orange. Nous n’avons qu’un moyen de la rectifier, qui est de nous pénétrer, si nous le pouvons, des conditions matérielles de la représentation dramatique en Grèce, et, quand nous y aurons réussi, nous étudierons alors, plus diligemment qu’on ne l’a fait, la réaction de ces conditions mêmes sur la constitution de la tragédie. Le théâtre, en général, est une adaptation des sujets de son choix à des conditions extérieures strictement définies, qui peuvent bien varier avec le temps, mais dont la rigueur s’exerce sur toute une période historique, et va jusqu’à déterminer, sans que les auteurs en aient toujours conscience, le choix même des sujets.

D’autres conditions, moins matérielles, sinon moins extérieures, ont agi sur la forme de la tragédie grecque : telle est, au premier rang, la fonction du chœur, et aucun exemple n’est plus démonstratif de ce qu’il y a, dans un genre littéraire bien caractérisé, de force interne qui l’achemine vers la réalisation de sa propre et pleine nature. « C’est le chœur, dit à ce propos M. Maurice Croiset, qui eut dans la tragédie primitive le principal rôle. L’acteur, créé par Thespis, ne venait d’abord qu’au second rang. Par une série de changemens, ce rapport primitif finit par être complètement interverti. La personnalité du chœur alla toujours en s’effaçant à mesure que son importance diminuait ; et, au contraire, celle de l’acteur, attirant de plus en plus