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Mais, s’il n’y a pas de tragédie sans action, ni par conséquent qui ne soit du drame à cet égard, — dans le sens étymologique plutôt que dans le sens littéraire du mot, la Tragédie n’en diffère pas moins du Drame en général, — et ne s’en élève pas moins au-dessus de toutes les formes qu’on vient d’énumérer un peu pêle-mêle, par sa tendance à réaliser sous un aspect d’éternité tous les sujets dont elle fait sa matière ; et c’est précisément cette haute ambition qui fait l’essentiel de sa définition. On ne s’étonnera donc pas que, pour atteindre son but, elle se soit de tout temps astreinte à des règles ou conditions d’art extrêmement sévères, étroites même, si l’on le veut, ou à tout le moins rigoureuses. Ne savons-nous pas bien qu’en aucun art la difficulté vaincue ou surmontée n’est un mince mérite ?


… L’œuvre sort plus belle
D’une forme au travail
Rebelle,
Vers, marbre, onyx, émail ;


et il suffit qu’au lieu d’être, comme on le croit, ou comme on le dit trop volontiers, une laborieuse invention des pédans, les difficultés qui, sous ce nom de règles, s’imposent à l’artiste, soient tirées de la nature des choses. On va voir, chemin faisant, que c’est le cas de la tragédie.

Elle est née en Grèce, où d’abord, et pendant longtemps, à ce que l’on dit, elle n’aurait été qu’une forme un peu plus développée du dithyrambe, lequel n’était lui-même que le chant liturgique dont s’accompagnait la célébration des Dionysies. Le dithyrambe était chanté par des chœurs de satyres, qu’on appelait τραγικοί, — du mot τράγος, bouc, — à cause de « l’extérieur à demi sauvage et bestial » des exécutans. Les historiens de la littérature grecque, et en particulier, les plus récens d’entre eux, MM. Alfred et Maurice Croiset, dans leur belle Histoire (Cf. t. III, pp. 30 et suiv.) insistent à ce propos sur le caractère populaire et même licencieux des Dionysies en général, ce qui ne les empêche pas, un peu plus loin, d’écrire que « la tragédie en Grèce est une des Formes du culte public, » et, qu’issue « d’un des rites de la religion dionysiaque, elle resta, pendant toute la période classique, un hommage rendu par la cité à un de ses Dieux. » Il semble qu’il y ait là quelque exagération dans les termes, ou plutôt quelque confusion. La « religion dionysiaque » était-elle