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provisoire avait solennellement reconnu, la Constituante, en septembre, se refusait à l’inscrire dans la charte républicaine. Elle biaisait, elle tournait autour, elle prenait des périphrases : elle transposait le droit de l’individu en un devoir de l’Etat, et en le circonscrivant au plus près qu’elle pouvait, en le rétrécissant peu à peu jusqu’à ne laisser subsister guère qu’un devoir d’assistance, une charité sociale.

La première rédaction portait : « Le droit au travail est celui qu’a tout homme de vivre en travaillant. La société doit, par les moyens productifs et généraux dont elle dispose et qui seront organisés ultérieurement, fournir du travail aux hommes valides qui ne peuvent s’en procurer autrement[1]. » La deuxième corrigea : « La République… doit la subsistance aux citoyens nécessiteux, soit en leur procurant du travail dans les limites de ses ressources, soit en donnant, à défaut de la famille, les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler[2]. » La formule adoptée fut : « Elle doit (la République), par une assistance fraternelle, assurer l’existence des citoyens nécessiteux, soit en leur procurant du travail dans les limites de ses ressources, soit en donnant, à défaut de la famille, des secours à ceux qui sont hors d’état de travailler[3]. » A quoi l’article 13 ajoutait : « La Constitution garantit aux citoyens la liberté du travail et de l’industrie. La société favorise et encourage le développement du travail par l’enseignement primaire gratuit, l’éducation professionnelle, l’égalité de rapports entre le patron et l’ouvrier, etc.[4]. »

Tout ce débat, qui fut grave et passionné, n’est au vrai que la querelle de deux idées ou de deux doctrines : de la liberté nécessaire et suffisante, de la liberté sans conditions, absolue et abstraite, contre la liberté sous conditions, relative, réelle, précaire et contingente ; de l’égalité de droit contre l’inégalité de fait. « Tu es libre ! s’écrie M. Thiers, en qui s’incarne l’une de ces écoles, travaille[5] ! » Mais, du dehors, Louis Blanc, et, dans l’Assemblée, ses amis répondent : « Sont-ils libres, ceux qui…

  1. Projet de Déclaration des devoirs et des droits ; Rapport d’Armand Marrast, lu à la séance du 20 juin 1848.
  2. Préambule du second projet, lu à la séance du 29 août.
  3. Préambule voté le 25 septembre.
  4. Titre II, voté dans la fin de septembre.
  5. Discours du 3 septembre. Voyez le Droit au travail, recueil des discours prononcés à l’Assemblée nationale, 1 vol. in-8o ; Guillaumin, 1848.