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a été autre chose en 1789, mais, en 1848, le peuple, c’est les ouvriers ; eux seuls, rien queux. A peine installés au Luxembourg, Louis Blanc et Albert adressèrent « aux ouvriers, » aux « citoyens travailleurs, » une proclamation dans laquelle, après le grand serment du début, ils exposaient brièvement que « toutes les questions qui touchent à l’organisation du travail sont complexes de leur nature ; » qu’ « elles veulent être abordées avec calme et approfondies avec maturité[1] ; » par laquelle, en somme, ils demandaient un peu de crédit à ce peuple qui avait ouvert à la République un crédit de trois mois de misère ; car ils n’ignoraient pas que, « dans le long et douloureux acheminement de l’humanité vers le règne de la justice, il est de nécessaires étapes[2]. » La première séance de la Commission eut lieu dès le jour même, 1er mars. Deux cents ouvriers environ y assistaient, « sur les sièges que naguère encore occupaient les pairs de France[3]. » L’un d’entre eux, se levant, réclama, au nom de ses camarades, la réduction des heures de travail et l’abolition du marchandage. Louis Blanc répondit qu’avant tout, « il y avait à organiser la représentation de la classe ouvrière au Luxembourg, » et proposa « que chaque corporation désignât trois délégués, » dont l’un prendrait part aux travaux journaliers de la Commission de gouvernement pour les travailleurs, et dont les deux autres pourraient, dans les assemblées générales, discuter les rapports présentés par elle. Ce qu’il fallait faire d’abord, c’était forger l’outil, et l’outil, ce serait, — il mettait le nom sur la chose, — le Parlement du travail.

Les ouvriers applaudirent, mais ils insistèrent : avant tout, la réduction de la journée et l’abolition du marchandage. Cependant Louis Blanc, déjà gouvernementalisé, et qui déjà pensait à parlementariser la révolution, voulait que les patrons fussent préalablement consultés : il fit remettre la décision au lendemain ; et c’est avec le consentement des « représentais les plus connus des principales industries de Paris, » convoqués d’office par l’intermédiaire de « citoyens à cheval, » que fut rendu le décret des 2-4 mars 1848 abolissant en effet le marchandage et

  1. Voyez le Moniteur du 5 mars 1848.
  2. Louis Blanc, Révélations historiques, ch. VIII. Le Luxembourg, le Socialisme en théorie, t, Ier, p. 157.
  3. Il avait été décidé (proclamation du 1er-2 mars) que chaque profession nommerait un délégué auprès de la Commission des travailleurs.