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que vous ! » disent les uns[1]. — « Vous qui en savez plus que nous[2], » surenchérissent les autres. Pourquoi ? parce qu’ils sont le Nombre. Et c’est-à-dire que non seulement la loi sera désormais faite pour eux, mais faite par eux. Non seulement le Travail, en vingt-quatre heures, est devenu législatif, s’il est permis d’exprimer par là qu’il est à présent matière de législation, ce qu’il n’avait pas encore été, mais il est devenu législateur.

Il l’est devenu non seulement au second degré, par délégation, en vertu du suffrage universel et au moyen du bulletin de vote ; non seulement il est représenté dans l’Assemblée par les ouvriers Agricol Perdiguier, Corbon, Pelletier (de Lyon), Marins André (du Var), etc., et au gouvernement par Albert « l’ouvrier, » en la personne de qui le mot prend une ampleur et une valeur de symbole, au point d’être bientôt auprès des électeurs une recommandation sans rivale, et comme le passe-partout du parfait candidat : « Fils d’ouvrier, ouvrier moi-même… » Le 1er mars est instituée, au Luxembourg, la Commission de gouvernement pour les travailleurs, dont Louis Blanc est le président, et Albert le vice-président. Or, le décret qui les nomme ne dit pas : « M. Louis Blanc, publiciste, » mais il dit : « M. Albert, ouvrier ; » et il ne dit pas : « Des économistes, des industriels, des commerçans…, » mais il dit : « Des ouvriers seront appelés à faire partie de la Commission. » Ses « considérans » sont d’ailleurs très nets, et le sens profond de la Révolution de 1848 s’en dégage plus franchement encore : « Considérant que la révolution faite par le peuple doit être faite pour lui ; qu’il est temps de mettre un terme aux longues et iniques souffrances des travailleurs ; que la question du travail est d’une importance suprême ; qu’il n’en est pas de plus haute, de plus digne des préoccupations d’un gouvernement républicain ; qu’il appartient surtout à la France d’étudier ardemment et de résoudre un problème posé aujourd’hui chez toutes les mil ions industrielles de l’Europe ; qu’il faut aviser sans le moindre retard à garantir au peuple les fruits légitimes de son travail[3]… »

Tout pour le peuple, par le peuple et au peuple ; et le peuple

  1. Séance du 2 novembre 1848. Discours de M. Marins André (du Var). Interruption. — Un membre : « Laissez-le parler, il en sait plus que vous ! »
  2. Propos prêté par lord Normanby à Louis Blanc, A Year of Revolution in Paris, t. Ier, p. 167-168 ; Voyez Révélations historiques, t. Ier, p. 107.
  3. Décret du 28 février, publié au Moniteur le 1er mars 1848.