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aurait lieu de parler de formules et de règles. On exigerait d’elles, comme par le passé, qu’elles fussent bien faites, car c’est un métier de faire une pièce et ceux qui ne savent pas leur métier n’ont qu’à ne pas s’en mêler. On continuerait à demander qu’elles fussent sinon l’illustration d’une anecdote, du moins le développement d’un sujet et que ce sujet fût capable d’intéresser ; car il s’en faut que le choix du sujet soit indifférent, et, quant à la théorie qui consiste à ne rien mettre dans une pièce, elle est surtout commode pour les auteurs qui manquent d’imagination. On en contrôlerait les procédés et on tiendrait mordicus que le théâtre a des procédés qui ne sont ni ceux du roman, ni ceux de la conférence, ni ceux du dialogue à la manière des drôleries de la Vie parisienne. On y serait pareillement sévère pour la qualité de l’observation et pour celle du style. Et on tiendrait compte aux auteurs de leur conception de la vie et des idées qu’ils contribuent à répandre ; car il est trop aisé de poser d’abord en principe que le théâtre n’a pas d’influence sur les mœurs et de lui laisser ainsi toute liberté de contribuer pour sa large part à l’œuvre commune de notre décomposition sociale.

C’est ici que la critique aurait un rôle à jouer, le seul, à vrai dire, qui lui fasse une raison d’exister. Elle se réduit aujourd’hui presque uniquement à enregistrer le succès ; elle craint surtout de lui faire grise mine et de se trouver en désaccord avec le public. C’est bien pourquoi elle est en train de se suicider. Elle perd chaque jour un peu du terrain que gagne la réclame. Son action diminue au moment où elle serait le plus nécessaire. Jamais le public n’avait été moins dirigé que depuis qu’étant devenu une masse flottante, énorme, sans cohésion, il se trouve être moins capable de se diriger lui-même. Dégager les tendances latentes au fond des âmes, créer ce courant, sans lequel il n’y a point d’art vigoureux, aider les auteurs à prendre plus nettement conscience d’eux-mêmes, faire prévaloir les formes supérieures de l’art, c’est ce à quoi seule la critique peut travailler. Il se pourrait que ses défaillances fussent encore le principal obstacle à la constitution d’un théâtre sérieux.


Faute de contenir aucune indication nouvelle, les pièces que viennent de donner divers théâtres pour leur réouverture, prouvent du moins l’importance de cette question d’une « formule » d’art et la nécessité où sont les auteurs d’en essayer sans cesse de plus ou moins viables. Il y a certainement toute sorte de mérites dans la comédie que MM. André Theuriet et Georges Loiseau font représenter à l’Odéon ; et