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aucun courant défini, c’est avouer d’abord que le public, indifférent aux choses de la littérature, ne se soucie guère de manifester en art aucune espèce de goûts ; c’est reconnaître ensuite que, parmi les écrivains d’aujourd’hui les plus favorisés du succès, il n’en est aucun dont l’individualité soit assez forte pour s’imposer à tous.

Cette absence de tout courant, cette ignorance du but à atteindre qu’avaient les auteurs, cela déjà est de nature à ralentir le progrès de notre littérature dramatique. Une autre mauvaise chance tient à la composition du public. M. Paul Hervieu l’a bien vu. « Autrefois, écrit-il, le théâtre vivait surtout d’une élite ; les auteurs travaillaient pour un monde de noblesse et de richesse qui venait chercher au théâtre un plaisir littéraire. Aujourd’hui, les frais qu’il supporte, loyer, artistes, décors, étant très élevés, le théâtre a besoin pour subsister d’un public souvent renouvelé et très nombreux ; or, c’est ce public-là, la majorité, qui vient chercher au théâtre un délassement. » Peut-être est-ce penser un peu trop de bien du public d’autrefois ; en tout temps, ce que les gens ont demandé au théâtre, c’est d’abord de les divertir. Mais il est bien vrai que jamais le besoin de s’amuser au théâtre n’avait été si intense et que le public, en s’élargissant, n’a pu manquer de devenir moins délicat, moins difficile, moins exigeant. D’autre part, l’auteur n’a pas le droit de s’adresser seulement à une élite : un art qui s’enferme dans une petite chapelle sans communication avec l’ensemble du public a tôt fait de s’étioler et de périr. Le problème est, comme on le voit, assez ardu.

On pourrait en chercher la solution dans une sorte de mouvement de simplification qui semble s’opérer sous nos yeux. « Après tous les essais bâtards de mélodrame, de comédie dramatique, de comédie vaudeville, de folie vaudeville, votre même de drame historique avec couplets, les genres retournent aujourd’hui à leur simplicité primitive. Et, tandis que la comédie se fait légère, gracieuse, affinée, pure de tout mélange, la tragédie, débarrassée de ses formes solennelles, renaît, moderne, sans péplum, sans pompe, raisonneuse et prosaïque. » La distinction à faire n’est pas seulement entre la tragédie et la comédie, mais entre deux sortes de pièces dont les unes n’auraient pour objet que d’amuser ; celles-là seraient, comme bien on pense, de beaucoup les plus nombreuses, et l’unique façon d’en juger serait, en effet, de constater si elles ont réussi ; on ne leur demanderait ni bon sens, ni logique, ni esprit ; elles ont plu, elles ne prétendaient pas à autre chose ; il n’y a aucune raison pour que les entrepreneurs de plaisirs publics soient par surcroît des écrivains. C’est pour les autres qu’il y