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les progrès de l’idée nationale et ce que j’appellerai l’état d’âme de John Bull. Il est grognon, sceptique, humilié dans son patriotisme, inquiet pour sa bourse. Où sont les gloires qu’on lui avait promises ? Où sont les bénéfices qu’il espérait ? Ses armées sont commandées par des favoris, par un prince de sang royal qu’on a cru un grand homme de guerre parce qu’on le voyait en bottes toute la journée, et il s’est fait battre partout où il s’est montré. Tous les jours nouveaux revers et nouveaux impôts. C’est la taxe sur la poudre, la taxe sur les chapeaux, la taxe sur les vins… Après avoir plaisanté et chansonné, John Bull se fâche. Quand on lui amène les prétendus traîtres des sociétés révolutionnaires et qu’on lui demande une condamnation, c’est un verdict d’acquittement qu’il prononce. Il crie à plein gosier dans les rues : « Vive la paix ! » et brise à coups de pierres les vitres du carrosse de George qui va ouvrir le parlement. Et Gillray, qui représente cette scène ne laisse même pas au prince le mérite de son tranquille courage, qu’il transforme en une indifférence hébétée.

Ici Pitt joue une seconde comédie : « Vous voulez la paix ? Soit : faisons la paix ! » Un ambassadeur anglais part pour Paris où il reçoit les embrassades des poissardes. À cette manifestation de la Halle, Billingsgate et Smithfield ripostent par des hourrahs et des feux de joie. Quand les ministres veulent négocier avec l’envoyé de Pitt, celui-ci leur répond qu’il n’a point d’instructions. Le diplomate prétendu n’est qu’un espion. Lorsque cette plaisanterie a duré un certain temps, notre gouvernement y met fin en donnant ses passeports à l’ambassadeur. « Vous voyez, dit alors Pitt à John Bull, ces gens-là ne veulent pas faire la paix. » John Bull, furieux, recommence la guerre avec d’autant plus d’énergie qu’on lui répète chaque matin que l’Angleterre est menacée à la fois chez elle et dans sa puissance coloniale. Bonaparte marche vers les Indes à travers l’Egypte et Hoche se dispose à envahir l’Angleterre. Quels services il va rendre à Pitt, ce spectre de l’invasion, si souvent agité devant les Anglais ! Gillray, qui est maintenant à sa solde, se charge de mettre les points sur les i, de montrer, dans une série de dessins, quels seraient les résultats d’une telle invasion, si elle était un fait accompli. Il représente l’armée républicaine défilant dans la Cité. Les chefs du parti libéral, travestis en sans-culottes, coiffés du bonnet phrygien, se pavanent dans leur carmagnole toute neuve. Fox est à leur