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du pouvoir, pourvu que le pouvoir tombât dans leurs mains ? La guérison du roi vint, comme un coup de théâtre inattendu, mettre fin à leurs espérances. Ce qui restait de l’incident, c’était une interprétation nouvelle de la Constitution, qui fortifiait le ministère et affaiblissait la royauté. Le roi le sentit vaguement et eut un moment la pensée de se débarrasser de son ministre. Il eût préféré ce misérable chancelier Thurlow, un âne vêtu d’une peau de lion, qui cachait sous ses gros sourcils froncés et sa voix tonnante les lâches angoisses d’un courtisan inquiet pour son crédit et d’un fonctionnaire tremblant pour sa place. Mais il fut prouvé au roi que Thurlow, au plus fort de la crise, avait négocié avec le prince. Pitt était resté invariablement fidèle à la personne du roi tout en jetant par-dessus bord la théorie royale. George III se résigna, — chose toujours dure pour un sot ! — à être servi, c’est-à-dire mené par un homme de génie. Gillray fait encore ici l’office d’historien à sa manière. Il a raconté cette bataille d’influences livrée autour du pauvre esprit, à la fois entêté et vacillant, qui n’échappait à la folie que pour rentrer dans l’imbécillité. Cette fois, c’est Milton qui lui a fourni l’allégorie dont il avait besoin. Thurlow joue le rôle de Satan qui combat contre Mort et contre Péché. Le premier, c’est Pitt, et le second a les traits de la reine Charlotte. Une caricature vraiment enragée, odieuse d’indécence, éblouissante de malice et de fantaisie. La cruauté avec laquelle chaque trait ridicule est marqué, souligné, grossi augmente la ressemblance, loin de la détruire. Et quel mouvement ou plutôt, — car le mot de « mouvement » est trop faible, — quelle furie d’action, quelle bousculade délirante et endiablée !

Après avoir établi l’autorité du premier ministre sur le terrain des principes, restait à la faire passer dans les faits par quelque exemple solennel, inoubliable. La Révolution française apporta à Pitt l’occasion nécessaire pour identifier le nouveau dogme constitutionnel avec les destinées mêmes de la grandeur anglaise.


II

Au moment où éclate la Révolution, les sentimens du peuple anglais envers la France sont loin d’être bienveillans. Le traité de Versailles a laissé dans les cœurs une profonde blessure ;