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l’humanité. Non, c’est une histoire au jour le jour, faite d’impressions que, souvent, le lendemain efface, mais que, souvent aussi, le surlendemain confirme, d’émotions qui se trompent quelquefois, mais ne se trompent pas toujours. Même erronée, même absurde, la caricature est encore instructive. Mise au pire, elle indique un état de l’âme populaire ou la tactique d’un parti à tel moment donné de la vie nationale. Elle a donc été un fait et a pu, à son tour, engendrer d’autres faits. Vérités, légendes, cancans, calembours : c’est à nous à trouver notre chemin au milieu de tout cela. Lorsque, pour railler l’impôt sur le savon, on nous montre lord North transformé en blanchisseuse et essayant de laver son linge sale sans l’aide de l’objet indispensable, ce n’est là qu’une farce. Lorsqu’on présente George III recevant l’argent de la France et le partageant avec ses ministres, c’est là, je pense, une calomnie pure et simple. Mais si le caricaturiste met en scène ce même George III disputant à un Peau-Rouge un ossement humain et le rongeant de compagnie avec lui, c’est un symbole et, si répugnante que soit l’image, je suis obligé de comprendre et d’enregistrer la leçon. Quand une puissance civilisée accepte ou soudoie contre une autre nation civilisée le concours de la barbarie, elle devient solidaire et responsable des pires excès que la barbarie puisse commettre. Ainsi, au travers des erreurs, des ignorances, des exagérations grossières, le bon sens et la justice se font jour. Car le sens du comique est un bon guide et ramène au vrai. La caricature me semble un enfant terrible, d’autant plus terrible qu’elle met presque toujours le doigt sur la plaie. Elle ne peut même pas se retenir de rendre ridicule celui qui la paie. Quant à l’adversaire, elle le tourne, le retourne, le fouille, le scrute en cent façons jusqu’à ce qu’elle ait découvert le point faible d’un grand caractère, le trait grotesque d’une physionomie imposante, la tare secrète d’une vie qu’on a crue sans tache. Et, en somme, il y a plus de vérité et de raison dans la parodie que dans le panégyrique. Méritait-elle d’autres historiographes qu’un Sayers, un Rowlandson, un Gillray, cette histoire politique des dix années qui séparent la fin de la guerre d’Amérique et le commencement des guerres de la Révolution ? On va en juger.

Sayers ouvre la marche en nous présentant les personnages de la comédie. Comparez sa galerie de portraits avec ceux qui ont paru quatre-vingts ans plus tard dans Vanity Fair. Le