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Mais, si grand que soit le péril que nous crée l’augmentation régulière de la population indigène coïncidant avec la diminution des terres qui la font vivre, l’augmentation régulière des naturalisés européens en Algérie crée un danger plus redoutable encore. On sait qu’on désigne sous ce nom des étrangers ou des fils d’étrangers qui ont acquis la nationalité française. Jusqu’en 1889, le nombre des naturalisés fut restreint ; la moyenne annuelle ne dépassait pas quelques centaines au plus ; et ceux qui étaient l’objet de la naturalisation se perdaient sans peine dans la masse des Français d’origine. Mais, cette année-là même, une loi sur les naturalisations fut votée, laquelle conféra la qualité de Français, sans qu’il fût besoin de la demander, à tout individu né en France de parens inconnus ou dont la nationalité est inconnue ; à tout individu né en France d’un étranger qui y est né lui-même ; et à tout individu né en France d’un père étranger né à l’étranger, au moment où cet individu atteint sa majorité. On avait eu pour but, en votant cette loi, de hâter l’absorption en France du million d’étrangers qui vivent sur notre sol, disséminés au milieu de 38 millions de Français de race. En vertu de la théorie de l’assimilation, qui consiste à doter le plus possible l’Algérie de la même législation que la métropole, cette loi fut déclarée applicable à la colonie. De par cette loi, tout étranger vivant en Algérie se trouve aujourd’hui naturalisé à sa naissance, s’il est né dans le pays de parens inconnus, et à sa majorité, s’il est né d’un père étranger. Mais on avait oublié ou négligé cette considération que la situation en Algérie n’est pas la même qu’en France, qu’il y a dans cette colonie un nombre d’étrangers égal, si ce n’est supérieur à celui des Français de race. L’application de cette loi à l’Algérie éleva tout de suite la moyenne annuelle des naturalisations à 5 ou 6 000 ; déjà en 1897, on évaluait le nombre des naturalisés à 55 519, et, chaque année, ce chiffre s’accroît de plusieurs milliers d’unités. Dès maintenant, ces naturalisés sont assez nombreux pour peser d’un poids considérable dans la vie politique du pays. Investis de droits politiques, ils disposent dès maintenant des élections dans un certain nombre de communes, et ils ne vont pas tarder à en disposer dans beaucoup d’autres. En effet, dans 23 communes sur 71 du département d’Alger et dans 42 communes sur 100 du département d’Oran, les étrangers sont en majorité, et il suffira de laisser jouer les naturalisations pour que ces étrangers naturalisés