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plutôt des réunions de petites exploitations rurales que des villages proprement dits. Ils ne se révèlent que par leurs églises, autour desquelles sont groupés quelques industriels, tout le reste des habitans étant dispersés dans de petites propriétés de trois à quatre hectares et souvent plus petites encore. Autant les villages créés artificiellement par l’administration sont largement ouverts aux rayons d’un soleil implacable, dénués d’arbres et paraissent mornes, désolés, et d’une désespérante monotonie, autant les villages dont l’origine est due à l’immigration libre sont ombreux, verdoyans et pittoresques. Que l’on compare à ce point de vue les créations spontanées de Birkadem et d’Hussein-Dey et les créations officielles de Staouéli et de Zéralda dans la banlieue d’Alger.

Mais la colonisation libre n’a pas seulement créé les exploitations rurales isolées en Algérie et transformé spontanément nombre d’entre elles en villages et hameaux, c’est elle aussi qui a repeuplé les villages officiels devenus déserts. Au fur et à mesure que ces derniers ont été abandonnés par les colons qu’y avait placés l’administration, d’autres immigrans sont survenus, petits cultivateurs de France et d’Algérie, ou encore ouvriers ou petits débitans ayant acquis quelque pécule par leur labeur dans les villes du littoral algérien, et, quel qu’ait été le mode d’aliénation des terres domaniales adopté par l’administration, ils ont su en devenir en définitive les acquéreurs. Sous le régime de la concession gratuite, de 1840 à 1851, ils achetaient aux concessionnaires les lots qu’ils abandonnaient ; sous celui de la concession conditionnelle, ils acquéraient des colons officiels leurs lots ruraux, dès que les titres de propriété définitifs leur avaient été délivrés ; sous le régime de la vente, de 1860 à 1871, ils se portaient adjudicataires des lots mis aux enchères. Ce sont eux encore qui, depuis 1871, ont remplacé les colons évincés ou déchus dans les nouveaux centres créés par l’administration. La prospérité des villages officiels n’a daté que du jour où les malheureux concessionnaires officiels ont fait place à d’autres, et où la colonisation libre s’y est implantée. Le fait était reconnu dès 1800 par les colons algériens eux-mêmes. « Los colons indépendans réussissent toujours là où les colons officiels se ruinent. Plus la colonisation est libre, plus on la voit prospérer, » écrivait alors M. de Baudicour[1], et dès cette

  1. La Colonisation de l’Algérie, p. 407.