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Le retour du Semblable. Projet. — Horneffer voit là une première conception du Zarathoustra, ouvrage destiné, dans la pensée de son auteur, à exposer sous une l’orme imagée et frappante la doctrine de l’Eternel retour. — Voici comment on pourrait cependant rétablir en ses grandes lignes le raisonnement de Nietzsche à ce moment de son évolution philosophique : pendant de longs siècles, l’intelligence humaine, encore engourdie, n’a guère engendré que des erreurs ; mais il faut bien reconnaître que la plupart d’entre elles se révélèrent utiles à la société, et conservatrices de l’espèce. Quiconque les acceptait, ou les recevait toutes faites par l’hérédité, luttait avec plus d’avantages dans le struggle, pour lui-même et pour sa postérité. Citons quelques-unes d’entre elles : l’existence de la matière, des corps, de choses durables, de choses égales entre elles, le libre arbitre, la conviction que ce qui est bon pour nous est bon en soi, etc.

Très tard surgirent les contradicteurs et les sceptiques qui s’avisèrent d’ébranler ces croyances ; très tard apparut la vérité, et, ô surprise ! ce fut, en tant que forme la moins puissante de la connaissance. Car, on le constata alors, et il faut bien en convenir, l’efficacité des connaissances ne réside pas dans leur degré de vérité, mais dans leur antiquité, dans l’achèvement de leur assimilation, dans leur caractère de soutiens de la vie. En général, là où la vie et la connaissance s’opposèrent, la lutte ne fut jamais sérieuse, la vie devant triompher en lin de compte ; en sorte que, sur les points controversés, la négation ou le doute, opposés à la tradition, furent considérés comme crime et folie.

Cependant, quand la concurrence vitale se fit un peu moins âpre, un jour vint où la recherche de la vérité parut se montrer utile à son tour, et l’on toléra le penseur, le philosophe, le savant. Jusqu’à quel point la vérité philosophique ou scientifique peut-elle être utilement assimilée par l’intelligence humaine ? L’expérience en fut dès lors permise ; elle se poursuit depuis des milliers d’années ; elle a été poussée plus hardiment que jamais à notre époque. Il est temps d’en tirer les conclusions. — Aux yeux de Nietzsche, la tentative paraît avoir été défavorable à la vérité, car la vie ne la supporte pas, s’affaiblit à ce contact dangereux, et tombe en décadence. C’est le spectacle que nous donne actuellement l’Europe, où la vie se voit menacée par le despotisme de la science. Il faut donc faire en sorte que ce ne soit là