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— Il faudrait beaucoup de patience pour les y aller chercher ; mais voici une confirmation indirecte de votre hypothèse. L’Eternel retour reparaît en 1871 sous la plume de Blanqui, contemporain et familier de cette génération de penseurs. Interné après la Commune au Fort du Taureau, le vieux révolutionnaire écrivit une fantaisie intitulée : L’éternité par les astres, où l’idée de Heine se trouve exposée presque dans les mêmes termes. Seulement, Blanqui songe à l’infinité de l’espace concurremment à celle du temps, et il n’admet, lui aussi, qu’un nombre fini de combinaisons-types fixées par Dieu ; en sorte que, pour remplir à un instant donné cet espace infini, il faut qu’il y existe simultanément des répétitions à l’infini d’une combinaison-type quelconque. Chaque individu possède donc quelque part des sosies complets, et des variantes de sosies en nombre infini. Une infinité de Blanquis, prisonniers dans une infinité de Forts du Taureau, écrivaient au même moment que le vôtre le même article de revue.

— Rêverie de maniaque ! m’écriai-je.

— Ne vous hâtez pas d’en juger ainsi. Notre savant naturaliste Nægeli reproduisait encore en 1878, dans un discours sur les bornes de la science, le raisonnement de Pleine. Et un de vos compatriotes, fort estimé des sociologues, le docteur Le Bon, s’est arrêté lui aussi un moment à ces considérations dans l’Homme et les Sociétés (1881). Il ne songe, il est vrai, qu’à la répétition dans le temps, et ne l’imagine pas dans l’espace à un moment donné. « Les combinaisons possibles entre un nombre fixe d’atomes étant limitées, et le temps ne l’étant pas, toutes les formes possibles de développement ont été nécessairement réalisées depuis longtemps, et nous ne pouvons que répéter des combinaisons déjà atteintes. »

Enfin, l’Eternel retour devait trouver un dernier avocat, plus brillant, plus convaincu, plus persuasif que les premiers. L’infortuné Nietzsche rencontra de bonne heure cette idée sur son chemin, mais il ne l’élabora qu’assez tard dans un cerveau déjà fatigué. En sorte qu’à certain tournant décisif de sa carrière, elle prit à ses yeux des proportions inattendues, qu’elle n’avait jamais révolues jusque-là sous le regard flottant des dilettantes qui s’y attardaient un instant. Un Nietzschéen distingué, M. Horneffer, vient de consacrer une étude particulière à La doctrine de Nietzsche sur l’Éternel retour[1]. Par malheur, les aperçus

  1. Leipzig, 1900.