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architectures que réclamaient sa fantaisie et sa sensibilité. Il y a quelques mois, nous lûmes avec surprise, dans une nouvelle édition de Henri Heine entreprise par une de nos grandes librairies (Reclam), une addition au chapitre XX de son Voyage de Gênes à Munich, qui n’avait jamais figure dans les versions antérieures. Elle est ainsi conçue : « Sache que le temps est infini, mais que les choses dans le sein de ce temps sont finies : elles peuvent bien se dissoudre en particules infinitésimales ; mais ces particules, les atomes, sont en nombre déterminé ; et déterminé aussi est le nombre des formes que Dieu lui-même en compose. Par suite, et quelle que soit la durée du temps nécessaire à cet effet, en vertu des lois combinatoires éternelles de cet éternel jeu de répétition, toutes les formes déjà apparues sur la terre doivent de nouveau reparaître, se rencontrer, s’attirer, se repousser, s’embrasser, se ruiner réciproquement, après comme auparavant. » Cet audacieux raisonnement mathématique, si peu attendu en pareil lieu, a surtout attiré notre attention, parce que, vous allez le voir, il avait été repris depuis lors, exagéré encore, et porté au premier plan de la scène philosophique, par un de ces penseurs qui ont, pour un temps, le don de se faire écouter de leurs contemporains. Je veux parler de Frédéric Nietzsche. Nommons-le dès à présent la doctrine de l’Eternel retour. Et, sans doute, on en trouverait facilement la trace avant le XIXe siècle, car rien n’est nouveau sous le soleil de la sagesse métaphysique.

— Certes, appuyai-je alors, il me souvient d’avoir rencontré des spéculations analogues chez les Pythagoriciens, chez les « physiologues » de la Grèce ; chez Vico même, ce singulier précurseur de la pensée moderne.

— Cela est certain, et, par la place mal choisie qu’il occupe dans le récit de Heine, le passage que j’ai cité donne à tous nos critiques l’idée d’une citation, d’un extrait copié quelque part, afin de l’utiliser à l’occasion. Toutefois, s’il en est ainsi, l’auteur véritable n’a pas été retrouvé jusqu’à présent.

— Eh bien ! dis-je, en songeant aux relations familières qui ont toujours uni l’auteur de Lutèce aux écrivains français de son temps, n’est-il pas permis de penser qu’on rencontrerait ces lignes dans quelque volume oublié des publicistes humanitaires et mystiques dont je vous ai rappelé les noms, Leroux ou Reynaud, par exemple ?