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le rencontre chez certaines peuplades. Dévorer un guerrier valeureux, c’est augmenter sa valeur personnelle. Enfin, poussant plus loin cette logique dégoûtante, on en vint à considérer comme siège actuel de l’âme des ancêtres, et à honorer d’un culte, non pas encore les oiseaux diaprés, ou quelque chimère de légende, aux formes héraldiques, mais bien les hideux mangeurs de cadavres, hyènes, chacals, vautours ; ou les mangeurs d’hommes vivans : requins, crocodiles, loups, ours. Ceux-là furent les dieux primitifs du fétichisme.

— Vous mettez, dis-je, à l’épreuve ma sensibilité nerveuse, et il faut un estomac robuste pour écouter sans nausée la genèse de la religion de l’avenir.

— Rassurez-vous, vous avez dépassé l’instant le plus pénible en votre apprentissage, et vous demeurez libre d’ailleurs de rejeter mes suggestions. Vous auriez pour vous le sentiment de notre maître à tous, M. Deussen. A son avis, la métempsycose védique a une origine toute morale. Le spectacle du vice récompensé par le succès, de la vertu si souvent mal partagée en ce monde, aurait amené les penseurs de l’Inde à concevoir des peines ou des récompenses dans une nouvelle vie terrestre. Seulement il s’abuse, à mon gré, et à celui d’autorités telles que MM. Oldenberg ou Konow, car il demeure incapable d’expliquer les antiques légendes populaires qui concordent si bien avec mon système : l’âme de la mère bouddhique mourante qui passe dans une femelle de chacal ; les ancêtres qui se promènent dans l’insecte voletant autour de leur sépulture, ou même qui « se glissent vers la racine des plantes. » Impossible, n’est-il pas vrai, de confondre davantage l’âme avec les restes du corps qui, sous forme de substances chimiques mises en liberté par la dissolution finale, vont nourrir les végétaux du voisinage. Aujourd’hui encore, les l’arsis de l’Inde, adeptes d’une des plus vieilles religions du monde, abandonnent leurs morts dépouillés au bec des vautours, sur ces sinistres tours du silence qui se dressent aux approches des grandes villes indoues, estimant que le défunt se réincarne ainsi sans retard, et retrouve plus vite le bienfait de la vie.

J’ai terminé mon cours d’origine. Telles furent les sources d’une des croyances les plus tenaces de l’humanité.

Sans place bien définie dans le védisme, qui est amoral en somme, comme Deussen le reconnaît lui-même, elle a reçu du