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pour lui, l’étudier avec enthousiasme. Tant qu’on ne croit pas à la métempsycose, c’est une absurdité de se faire bouddhiste. Et peu nombreux sans doute sont ceux qui prévoient le triomphe prochain de cette croyance en Europe. »

Je m’arrêtai, tout fier de mon érudition de fraîche date, en jetant sur mon ami un regard triomphant. Il eut un sourire sardonique : « Peu nombreux ! » répéta-t-il avec ironie : au train dont les choses marchent, ils seront bientôt innombrables, au contraire. L’esprit humain tourne toujours dans le même cercle, et ne renouvelle guère ses conceptions métaphysiques ; à l’heure actuelle, la métempsycose semble ramenée au pinacle par l’allure désordonnée de la roue philosophique. Ecoutez, poursuivit-il, puisque le soleil est encore trop chaud au midi, sur le Chemin des philosophes, pour que nous allions y chercher de compagnie nos vieux souvenirs d’étudians, puisque nous n’avons rien de mieux à faire pour l’instant, je veux vous édifier sur la métempsycose, afin de vous guérir des assurances téméraires et des argumens irréfutables. Vous me pardonnerez si ma causerie prend des allures de conférence, ou ma voix des intonations de pédant : c’est le pli professionnel, et je m’efforce à l’accentuer de mon mieux dans l’intérêt de mon avenir universitaire, car je n’aurais que trop facilement ici réputation de légèreté dans le jugement et de gallicisme intellectuel.

Et d’abord examinons un peu quelle est la source de la croyance à la migration des âmes. Notez-le, d’ailleurs, c’est mon opinion personnelle que je vous donnerai sur ce point, car la question reste ouverte, et la science des origines est sujette aux palinodies. Quel est donc, à mon avis du moins, le fondement probable d’une opinion si répandue, qu’on a pu, sans trop d’audace, l’étayer de ce vieil argument des théodicées classiques : le consentement universel de l’humanité ? Pour croire à la migration des âmes, il faut, au préalable, concevoir quelque chose d’analogue à l’âme, et les premières formes de la métempsycose doivent être cherchées dans l’animisme des hommes primitifs. Un vague pressentiment de l’existence d’un principe spirituel semble s’être développé chez les peuples barbares par la réflexion sur le phénomène du sommeil et du rêve. Au réveil, n’apprenait-on pas par le témoignage de ses proches qu’on était demeuré bien paisiblement étendu sur sa couche, tandis qu’on gardait le souvenir d’aventures merveilleuses ou terrifiantes, de