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marins, des artisans de toute sorte ; il pourrait, pour faire connaître nettement les objets que ces mots désignent, les accompagner de figures, comme on a commencé à le faire dans plusieurs dictionnaires patois. Les prononciations diverses, les formes grammaticales, les emplois syntaxiques des mots devraient être notés avec soin, ainsi que les locutions toutes faites et les proverbes. On aurait là une sorte d’archives où seraient déposés tous les matériaux de la lexicographie ancienne et moderne de la France entière.

L’autre dictionnaire que je rêve serait un dictionnaire vraiment historique du français moderne. Il ne comprendrait que les mots encore vivans du français commun ; il en ferait l’histoire détaillée, avec exemples à l’appui, depuis les plus anciens textes où ils figurent jusqu’à nos jours, sans la scinder artificiellement en deux périodes. Cette histoire ne s’arrêterait pas au latin pour les mots héréditaires, au latin ou à d’autres langues pour les mots empruntés : elle chercherait à remonter plus haut encore, à atteindre les mots dans leur forme la plus ancienne, à en mettre au jour les racines mêmes. On comparerait naturellement chaque mot français à ses correspondans dans les différens parlers romans, et on noterait les différences de sens qu’ils présentent. Les sens français seraient, autant que faire se pourrait, rangés dans l’ordre logique de leur succession, mais ils seraient aussi traités historiquement, c’est-à-dire qu’on essaierait d’assigner à chacun d’eux, comme aux mots eux-mêmes, la date de son apparition. Les exemples seraient donnés non à titre d’autorités, mais pour faire connaître et comprendre tous les emplois des mots, même ceux qui semblent impropres et abusifs ; aussi seraient-ils pris dans tous les auteurs, illustres ou obscurs, bons ou mauvais, et le parler familier serait mis à contribution aussi bien que le style le plus choisi : On reproduirait tous les articles de dictionnaires antérieurs qui offriraient quelque intérêt ; on recueillerait les remarques grammaticales et autres auxquelles les mots ont donné lieu. Les changemens opérés dans la prononciation seraient indiqués, et les variations de la graphie seraient relevées depuis l’origine. Chaque mot aurait ainsi son histoire documentée, complétée par un aperçu de ce qu’il a été avant d’être français, de ce qu’il est, là où il existe, en dehors du français.

L’œuvre est immense, mais elle n’est pas irréalisable. En