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pour réviser une sentence : les faits connus peuvent être interprétés d’une façon nouvelle. Dans le domaine, encore si peu exploré, de la sémantique historique, comme dans tous ceux qui relèvent de la psychologie, il faut le plus souvent se contenter de probabilités ou même de possibilités : le monde de la pensée attend encore son Newton et l’attendra peut-être toujours. Il n’est donc pas surprenant que sur plus d’un point la réflexion plus approfondie ou plus heureuse d’autres linguistes ait déjà modifié ou doive modifier les cadres tracés par Hatzfeld et Darmesteter à l’évolution sémantique des mots français ; mais ceux qui rectifieront leur œuvre ne le feront que s’ils commencent par se mettre à leur école et s’ils emploient, pour grouper et interpréter les faits, la méthode sévère et délicate dont ils ont donné l’exemple.

Je me suis trop étendu sur ce qui fait la vraie nouveauté du Dictionnaire général pour parler longuement des parties moins originales, la nomenclature et les exemples[1]. La nomenclature est fondée sur la même base que celle de Littré, c’est-à-dire qu’elle est restreinte aux trois derniers siècles. Elle promettait, d’après la préface, d’être plus riche qu’elle ne l’est en effet. Darmesteter était plus disposé qu’Hatzfeld à étendre libéralement la liste des mots enregistrés : quand il eut disparu, Hatzfeld raya beaucoup de mots, que M. Thomas essaya souvent en vain de défendre. Au rebours de ce que nous avons constaté pour le dictionnaire de Littré, le vocabulaire, dans le Dictionnaire général, devient de plus en plus « choisi » à mesure qu’on approche de la fin : les proportions originairement adoptées menaçaient d’être notablement dépassées, et l’éditeur insistait pour qu’elles le fussent le moins possible, si bien que les dernières lettres se virent assez sensiblement élaguées. Néanmoins, on trouve dans le Dictionnaire général un nombre encore considérable de mots qui ne figuraient dans aucun dictionnaire antérieur ; on doit surtout être reconnaissant aux auteurs de ceux qu’ils ont relevés dans des livres du XVIIe et du XVIIIe siècle non dépouillés par leurs prédécesseurs[2]. Les exemples ne sont

  1. Je remarque en passant que, comme Littré, Hatzfeld et Darmesteter donnent la prononciation figurée : on peut se fier à leur notation, et il est intéressant de comparer la prononciation qu’ils marquent avec celle qu’indique Littré.
  2. Comme les sens, les mots en eux-mêmes ont été soumis à une attentive révision : des fautes d’impression, transmises de dictionnaire en dictionnaire, avaient introduit dans notre vocabulaire un certain nombre de mots qui n’ont jamais existé. Les auteurs du Dictionnaire général ont fait là un travail d’épuration très utile et très méritoire.