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lire ; il y eut augmentation de 185 pour 100 dans le nombre des élèves qui, de 1878 à 1895, fréquentèrent les écoles de couleur, tant publiques que privées. L’intérêt du nègre, aussi bien que son instinct et ses aptitudes, le pousse vers l’agriculture et il montre une tendance croissante à descendre vers les terres chaudes du Sud. Sa vie est plus courte que celle du blanc et la mortalité le frappe surtout dans les villes, où se développe aussi la criminalité, car il est éminemment sensible à l’influence du milieu. Cependant il lui faut avant tout l’éducation ; le nègre libre, laissé à lui-même sur de lointaines plantations, ne fait aucun progrès. M. Curry, l’auteur d’un des bulletins, remarque avec raison qu’il n’en fit jamais dans son pays d’origine[1] ; le développement humain qui vient de l’énergie volontaire, les révolutions éthiques et politiques des nations civilisées, n’existent pas dans son histoire. Il a fallu pour le conduire au degré de civilisation où il est aujourd’hui que tout lui arrivât du dehors. Enlevé à son Afrique natale, soumis à une cruelle déportation, assujetti, comme esclave, à tout ce qui peut abaisser une race qui ne partage pas les avantages de la civilisation où on l’a de force transplantée, il reçut brusquement la liberté, le rang de citoyen, le droit de suffrage et d’éligibilité tout à la fois. Pour ces gens auxquels une loi défendait naguère d’apprendre à lire se sont ouvertes des universités sur le modèle de celles qui complètent l’éducation avancée de l’Anglo-Saxon.

La philanthropie du Nord, si louable qu’elle soit, alla certainement trop vite et produisit souvent de fâcheux résultats.

Ceux qui veulent considérer le côté effrayant du problème n’ont qu’à lire un livre dont la publication coïncida presque avec celle de l’autobiographie de Booker Washington et qui en serait la contre-partie s’il n’inspirait une juste méfiance par les exagérations et les contradictions qu’il renferme : Le nègre d’Amérique : ce qu’il fut, ce qu’il est et ce qu’il peut devenir[2].

L’auteur, W.-H. Thomas, est un homme de couleur traître assurément à sa race dont il présente un fort triste tableau. A l’entendre, plus le nègre est intelligent, plus il est porté au vol, et sous le rapport des mœurs il n’y a pas un nègre de quinze ans

  1. Difficulties, complications and limitations connected with the education of the negro, by J. L. M. Curry, secretary of the trustees of the John Slater Fund.
  2. The American negro : what he was, what he is and what he may become, New-York, 1901.