Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/792

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

amendemens à la constitution n’avaient pu faire… Par ses méthodes pacifiques renouvelées de Jésus, Booker Washington a réussi où aurait échoué César. »

L’estime et l’amitié des blancs du Sud, voilà en effet ce qu’il importe le plus aux nègres d’obtenir. Washington désirait pardessus tout se faire écouter par un auditoire vraiment représentatif des anciens confédérés propriétaires d’esclaves. L’occasion se présenta en 1893, lorsque la réunion internationale des travailleurs chrétiens eut lieu à Atlanta, Géorgie. Une invitation à parler « quelques minutes » tomba chez lui tandis qu’il faisait des conférences à Boston. Franchir deux mille milles pour parler cinq minutes, cela semblait absurde. Il s’y décida néanmoins. En partant sur-le-champ il pouvait arriver à Atlanta trente minutes avant l’heure fixée, puis reprendre un train qui le ramènerait assez tôt pour remplir ses autres engagemens. Tout son souci était de mettre dans ce discours de cinq minutes quelque chose qui valût la peine d’être dit. Devant la classe la plus influente de la société blanche, hommes et femmes, curieux mais généralement hostiles, il parla de Tuskegee, de son but, de ses méthodes, et se fit applaudir. Le lendemain, cette harangue si brève et si pleine fut très favorablement commentée par la presse dans les différentes parties du pays : un grand point était gagné désormais. Booker Washington le dépassa encore, il acquit une réputation que l’on peut qualifier de nationale, le 18 septembre 1895, le jour où il prononça sa fameuse adresse pour l’ouverture de l’exposition d’Atlanta. Premier succès : vingt-cinq des citoyens les plus influens de la Géorgie réunis en Comité avaient prié l’orateur de les accompagner jusqu’à Washington pour y demander au Congrès l’aide du gouvernement en faveur de cette exposition. Il obtint tout ce qu’il voulut. Avec une souveraine habileté, il exposa au Congrès sa conviction intime que le meilleur moyen de délivrer le Sud des embarras résultant de la question de couleur, serait d’encourager le progrès moral et intellectuel des deux races ensemble. Il ajouta que l’exposition d’Atlanta leur fournirait à l’une et à l’autre l’occasion de montrer les progrès accomplis depuis l’ère de l’émancipation et les encouragerait à se surpasser. L’exposition eut lieu et un bâtiment tout entier fut consacré aux produits de la classe de couleur, le dessin de ce bâtiment lui-même ayant été proposé par un architecte nègre, l’édifice tout entier construit par des nègres.