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certain nombre de ces jeunes gens, garçons et filles, choisis parmi ceux qui promettaient le plus, pourraient profiter de deux heures de classe, moyennant dix heures de travail manuel par jour. On leur donne, outre le gîte et la nourriture, un petit salaire qui reste presque tout entier entre les mains du trésorier pour payer leur pension aussitôt qu’ils se trouvent en mesure de fréquenter l’école de jour. De cette manière, ils apprennent un métier, en même temps qu’ils acquièrent les connaissances indispensables. Lorsque Booker Washington prit la direction de cette école de nuit, il y avait eu tout une douzaine d’élèves des deux sexes, travaillant ceux-ci à la scierie, celles-là aux filatures. La classe du soir les trouva possédés d’une telle ardeur que souvent ils suppliaient leur maître de la prolonger après qu’avait sonné l’heure du repos. On les avait surnommés la Plucky class, pluck étant le mot familier pour courage, et comme les membres les plus distingués de la Plucky class obtenaient un certificat, la popularité de l’école de nuit s’en accrut. Elle compte maintenant de trois à quatre cents élèves.


IV

Washington se prépara ainsi à devenir président de l’Université de Tuskegee. Ce poste, bien humble à l’origine, lui fut conféré par le général Armstrong, à qui deux notables du comté de Maçon avaient écrit pour avoir un instituteur qui pût faire le plus de bien possible dans la région qu’ils habitaient. Ces deux hommes singulièrement réunis étaient l’un M. Campbell, un blanc, ancien esclavagiste, négociant et banquier, l’autre M. Lewis Adams, ancien esclave qui avait appris chez ses maîtres le triple métier de cordonnier, de bourrelier et de chaudronnier. « Visitez nos villes du Sud, dit Washington, demandez quels sont les gens de couleur les plus honorables et les plus influens de l’endroit. Cinq fois sur dix, on vous indiquera un nègre qui jadis chez ses maîtres apprit un métier. » Il en conclut que, dans les plans pour l’éducation des nègres, il faut prendre en grande considération ce qui leur fut jadis enseigné, c’est-à-dire les connaissances industrielles. Chaque grande plantation du Sud était dans un certain sens une école pratique de laboureurs, de maçons et de charpentiers, de cuisinières, de lingères, de couturières, etc. L’enseignement était donné dans une intention