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retient près de Dieu. — Dieu et la patrie d’abord ; nous-mêmes après. »

Chaque jour le général passait militairement la revue des étudians, ne leur faisant grâce ni d’un bouton de moins, ni de souliers mal cirés. Cette obligation d’être bien tenus eût été un problème insoluble si les vieux habits ne fussent arrivés du Nord par tonnes, tous ceux qui s’intéressaient à l’œuvre de Hampton, et ils étaient légion, entretenant au moins le vestiaire.

Le bain quotidien était de règle et cette extrême propreté fut le point de départ de beaucoup de progrès d’un autre ordre. Booker Washington a célébré avec esprit la vertu moralisatrice de la brosse à dents. Quand il arriva, dénué de tout, à l’Institut, il était à cent lieues d’en connaître l’usage ; jamais encore il n’avait couché dans des draps ; il ne savait qu’en faire, tantôt se glissant sous tous les deux à la fois, tantôt se couchant dessus ; mais, comme il avait sept camarades de chambrée, il réussit bientôt à les imiter. Les révélations surprenantes se succédant pour lui, il apprit l’usage d’une nappe, d’une serviette, d’autres objets inconnus jusque-là. Et personne n’a parlé mieux que lui de l’union qui existe entre le soin de la personne extérieure et le respect de soi-même. Son extrême pauvreté rendit longtemps méritoire l’effort qu’il faisait pour y parvenir. D’abord il ne possédait qu’une paire de chaussettes qu’il lavait le soir pour les retrouver sèches le lendemain. Il payait en travail manuel les dix dollars par mois de la pension ; son frère John lui envoyait le peu qu’il pouvait mettre de côté pour l’aider à payer les frais de l’enseignement qui sont de soixante-dix dollars. Jamais cependant Washington n’eût réussi à fournir même une faible partie de cette somme si le général Armstrong n’eût intéressé à lui un riche citoyen de New-Bedford, Massachusetts, M. Morgan, qui montra la générosité si fréquente en pareil cas chez les Américains.

Pour le général Armstrong, Washington professe une espèce de culte. Il dit quelque part : « Plus je vais, plus je suis persuadé que tout l’attirail de l’enseignement proprement dit ne procure rien en fait d’éducation qui puisse être comparé à ces rapports quotidiens avec les meilleurs d’entre les hommes… On aurait pu retirer à Hampton les classes, les ateliers, les professeurs, que, par la vertu du contact, notre éducation eût encore été faite. » Il voit dans le général Armstrong, rencontré au