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L’AUTOBIOGRAPHIE D’UN NÈGRE


Up from Slavery, par Booker Washington, 1 vol. in-8o ; Doubleday, Page and C°. New-York. 1901.


I

Par un soir d’automne, en 1872, un jeune nègre, misérablement vêtu et couvert de poussière, entrait, le sac au dos, d’un pas timide et furtif, dans la capitale de la Virginie, la première grande ville qu’il eût jamais vue, Richmond.

Nulle part on ne rencontre plus de nègres qu’à Richmond, ils forment près de la moitié de la population. L’étranger n’eût donc pas été repoussé des auberges, comme il lui était arrivé de l’être en route, sous prétexte de couleur ; à Richmond, plus d’un gîte existait pour ceux de son espèce, mais il ne savait où les trouver et d’ailleurs n’avait pas d’argent. Que faire, sinon continuer toute la nuit d’errer par les rues ? Malgré l’heure avancée, les boutiques de comestibles étaient encore ouvertes : dehors, sur les tables, s’empilaient des viandes froides et des tourtes aux pommes ; Washington, — car le nègre voyageur n’ayant point de nom de famille, avait choisi hardiment de s’appeler ainsi, — Washington dévorait des yeux cette abondante nourriture. Peut-être la faim, la fatigue, l’état délabré de ses vêtemens lui donnaient-ils une mine peu rassurante ; il le sentait avec inquiétude. Où se réfugier ? Où dormir ? Minuit avait sonné depuis quelque temps déjà, quand il s’aperçut qu’à cet endroit de la rue, le trottoir en planches qui borde la chaussée était considérablement élevé au-dessus du sol. Après avoir regardé autour de lui pour s’assurer que personne n’était témoin de son audace,