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ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? Nous ne savons même pas s’il y avait une sœur Anne pour regarder venir, ou ne pas venir, en dehors du concierge de l’établissement. Dans les trois autres sections, on a été un peu plus heureux. Ainsi, dans la section de la charpente et de la menuiserie, un syndicat a voté : ce n’est pas beaucoup sans doute, mais enfin cela vaut mieux que rien. Dans les autres sections, on a montré un peu plus d’empressement encore. Bref, huit délégués en tout ont paru : ils représentent 69 suffrages sur 465 qui étaient inscrits. La journée a dû paraître bien longue à ceux qui gardaient les bureaux ! Voilà le côté des patrons. Du côté des ouvriers, il y a eu un peu plus de monde, mais pas beaucoup. Sur 105 syndicats ouvriers inscrits, 43 seulement, et non pas les plus importans, ont pris part au vote. Dans la 1re section, on n’a relevé que 11 suffrages, et 13 seulement dans la 3e. Les journaux ministériels disent néanmoins que les deux tiers des ouvriers ont voté, et que c’est une proportion normale dans toutes les élections. Dans les élections du suffrage universel, soit ; mais dans les élections du suffrage restreint, non ; et quel suffrage plus restreint que celui dont il s’agissait ? En résumé, les ouvriers devaient élire 19 délégués : 11 seulement ont été définitivement élus, les 8 autres sont en ballottage. Pour être élu au premier tour, il fallait réunir la majorité des suffrages exprimés : aucune condition n’était exigée en ce qui concerne le nombre des votans. C’est ainsi que, dans la section patronale où il y a eu un seul votant, le vote s’est trouvé valable, le délégué élu ayant obtenu, non seulement la majorité, mais l’unanimité des suffrages ! M. Millerand se croyait assuré par là qu’à la fin de la journée, il aurait un premier conseil du travail valablement constitué : il n’avait pas prévu que, dans quatre sections, il n’y aurait pas de votans du tout, et que par conséquent, avec la meilleure volonté du monde, il serait impossible de proclamer un élu. C’est pourtant ce qui est arrivé. On peut sans doute passer outre, déclarer constitué le conseil du travail de l’industrie et du bâtiment, et le faire fonctionner ; mais comme il ne représente à peu près rien, nous nous demandons quelle sera son autorité.

Quand on compare les pouvoirs exorbitans attribués à ces conseils à la base électorale, prodigieusement étroite, qu’on leur a donnée, la contradiction parait si grande qu’on se croit en présence d’une gageure. Et voilà que, dès le premier essai, cette base électorale se rétrécit encore ou même s’effrite complètement. Ce n’est pas un succès pour M. Millerand. C’en est un pour M. Bérenger dont la proposition au Sénat devient plus importante et plus nécessaire que jamais.