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les Ardennes, avait été révoqué pour avoir parlé légèrement du ministre de la Guerre au cours des dernières manœuvres, fait d’autant plus regrettable qu’il s’était produit devant des officiers étrangers. Nous ne prenons certes pas la défense du maire de Réthel : nous nous contentons de dire qu’il a nié le propos qui lui était attribué, et qu’on ne lui a pas donné le temps de fournir à ce sujet la moindre explication. C’était là un précédent : on pouvait croire que le gouvernement ne devait pas avoir deux poids et deux mesures, et qu’il ne se montrerait pas moins sévère pour le maire de Lille que pour celui de Réthel. Mal parler du général André peut devenir, dans certaines circonstances, un acte répréhensible ; mais refuser de se conformer aux instructions préfectorales lorsque l’Empereur de Russie est en cause, est un acte plus répréhensible encore. Le maire de Réthel avait en somme, dans un moment d’impatience, laissé échapper une boutade déplacée, tandis que le maire de Lille, revenu exprès de Roubaix, s’était livré à une manifestation préméditée contre la politique du gouvernement dans ce qu’elle a de plus important et de plus délicat. S’il y avait jamais eu une bonne occasion de sévir, c’était celle-là. Qu’a fait pourtant le préfet du Nord, conformément aux ordres qu’il a reçus, car personne ne croira qu’il ait agi de sa propre initiative ? Il a écrit une lettre au maire de Lille pour lui dire que, bien qu’il pût user contre lui des rigueurs de la loi, il se garderait bien de le faire, préférant l’abandonner à ses remords et au jugement de ses électeurs. Si ce ne sont pas exactement les expressions dont il s’est servi, il ne s’en faut pas de beaucoup.

La réplique du maire ne s’est pas fait attendre : la dernière phrase suffira à en indiquer le ton et à en révéler le sens. M. Delory a déclaré au préfet que ses appréciations personnelles le laissaient indifférent, et que, pour ce qui était du jugement de ses électeurs, il s’en chargeait. — Je ne regrette pas, a-t-il dit, « d’avoir refusé de faire servir les drapeaux d’une ville républicaine et socialiste à l’apothéose d’un souverain, et de les avoir réservés pour le jour où le peuple russe sera délivré du joug abominable sous lequel il est encore courbé. » — Cette fois, l’offense à l’Empereur de Russie prenait un caractère tout à fait précis. Quant au préfet, représentant du gouvernement, M. le maire de Lille le traitait de haut en bas, lui faisait la leçon avec arrogance, et, s’il est permis de le dire, l’envoyait promener sans la moindre forme. A supposer que son refus de pavoiser les monumens publics de Lille ne tombât pas sous le coup d’une répression administrative, il n’en était pas de même de sa lettre. Qu’aurait-on fait du