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sont utiles, et peut-être même de temps en temps nécessaires dans un pays comme le nôtre où, la démocratie coulant à pleins bords, suivant la vieille formule, l’imagination joue un grand rôle et l’opinion est tout.

Au surplus, nous n’entrerons pas dans le récit de ce qui s’est passé à Dunkerque, à Reims, à Compiègne ; les journaux en ont été remplis. Nous n’avons même rien à dire des discours prononcés par M. le Président de la République et par l’Empereur de Russie, sinon qu’ils ont été parfaits. Depuis le jour où l’Empereur, à Cronstadt, a parlé pour la première fois, avec un retentissement qu’on n’a pas oublié, des deux nations « amies et alliées, » il n’avait plus de révélation à faire au monde toujours attentif : il ne pouvait que répéter ses paroles en les accentuant, et c’est ce qu’il n’a pas manqué de faire. Quant au but de l’alliance, on le connaissait aussi déjà : c’est sans doute le maintien de la paix, mais de la paix avec dignité et avec une garantie efficace pour tous les intérêts légitimes, conformes au droit et à l’équité. On a dit quelquefois qu’avant l’alliance franco-russe la paix de l’Europe était déjà pleinement assurée. L’Allemagne, répétait volontiers le prince de Bismarck, a maintenant tout ce qu’elle désire ; elle est satisfaite ; elle est saturée. Il n’y a donc rien à craindre de son côté, et d’ailleurs, si on s’en rapporte à l’histoire, ce n’est jamais elle qui a pris l’initiative de troubler la paix du monde : naturellement c’était toujours la France. L’illustre chancelier se livrait, pour soutenir cette thèse, aux inventions les plus imprévues, les plus subtiles, les plus sophistiques. A l’entendre, la Prusse n’avait jamais attaqué personne. Depuis Frédéric le Grand, de pacifique mémoire, elle n’avait jamais fait la guerre que pour se défendre, lorsqu’elle avait été méchamment attaquée, tranquille et innocente comme elle l’a toujours été. Il fallait être M. de Bismarck pour se permettre ces fantaisies. On se souvient pourtant d’une époque qui n’est pas encore bien éloignée, et où la Prusse incertaine de ses frontières, ambitieuse, pauvre, famélique, mettait le feu à l’Europe pour devenir ce qu’elle est devenue. L’atavisme l’a douée d’un instinct militaire d’une énergie incomparable. Mais, dit-on, elle est satisfaite ; elle n’a plus rien à désirer ; et dès lors, si elle a été autrefois le ferment révolutionnaire de l’Europe, elle en est devenue, depuis, l’élément le plus conservateur.

Cette seconde partie de la thèse de M. de Bismarck est démentie par des faits encore plus récens. L’Allemagne prussianisée était, en 1875, ce qu’elle est maintenant ; elle avait pris par la force tout ce