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confondre l’innocente imposture d’amour. « Il y avait une fois, au beau pays de Sicile… » Tout le récit, fait sur un ton de légende ou de conte de fées, est un modèle de narration lyrique, un exemplaire achevé du sentiment et du style populaire. C’en est un autre peut-être, au moins vers la fin, que la chanson chantée par la petite Sicilienne à l’étoile aimée, trop haute pour savoir qu’on l’aime, et qu’on supplie seulement de se mirer un soir dans le cercueil d’argent où dormira l’humble morte d’amour. Ici, comme en toute l’œuvre de M. Pedrell, la mélodie règne seule. Le caractère, l’originalité consiste dans les divers élémens de la mélodie : contours et proportions, métrique irrégulière à dessein, liberté des mouvemens et désinences étranges. Cette musique n’a de beauté que celle de la matière première, mais précieuse, dont elle est formée.

J’ai trouvé enfin dans le troisième acte de Los Pirineos une page qui, sans être la plus parfaite de l’ouvrage, en pourrait bien être la plus nationale : c’est le chant de guerre des Almogavars, entonné par Rayon de l’une et repris en chœur par les soldats allant à la victoire. Une ou deux formules vulgaires se perdent ici dans les accens héroïques et les transports sacrés. Avec une chaleur, un feu qui les a fondus ensemble, le musicien combine trois thèmes différens : l’un est la chanson catalane de la Batalla del rey Moro ; le second imite l’appel du muezzin à la prière ; le troisième n’est autre que la Kaaba vertigineuse, enragée, dont Beethoven a tiré, dans les Ruines d’Athènes, le chœur en tourbillon de ses derviches. Cet hymne d’enthousiasme et de fureur, c’est bien l’Espagne qui le chante, l’Espagne indomptable et sauvage, telle que les Maures l’ont faite et que, même défaits par elle, ils l’ont laissée à jamais ; l’Espagne qui teint ses drapeaux des deux couleurs les plus éclatantes, celle du sang et celle du soleil.

A Madrid, le matin, par un bleu matin de l’été de Castille, avez-vous jamais vu relever la garde du palais ? C’est un radieux spectacle. La haute esplanade est fermée de deux côtés par les architectures blanches, qui paraissent de marbre. Au Nord, le regard s’étend jusqu’aux monts de Guadarrama, glacés d’azur. Le jeune roi paraît quelquefois au balcon. Sur le sable de la cour, il regarde passer les fantassins, les cavaliers et les canons. Dans l’air sec et sonore, il écoute la Marche royale. Elle n’est pas très vive : un peu grave plutôt, mêlée assez étrangement, surtout en ses dernières mesures, de joie calme et de mélancolie. Et je trouve qu’elle ne dit pas tout de ce pays et de cette race. Elle ne dit pas les choses anciennes, les choses profondes. « Si j’étais le roi d’Espagne, » comme chante la vieille