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musique fournit la « matière première » et la musique moderne, à son tour, apporte ses ressources : la faculté de représentation et de symbolisme dont elle dispose, l’infinie variété de formes qui fait sa richesse. Alors s’opère entre les deux élémens comme un heureux hymen ; alors on voit se produire, entre les deux termes, je ne sais quelle équation de beauté.

La partition de Los Pirineos renferme peu de pages où ne revive tantôt le génie des maîtres d’autrefois, tantôt le génie du peuple, ce maître de toujours.

Dans le prologue, empreint d’une couleur épique et religieuse, telle marche d’harmonie, telle cadence trahit l’influence de cette école sacrée qui fit la plus pure gloire de l’Espagne. Une suite d’accords est empruntée à certain Ginès Ferez, qui fut au XVIe siècle maître de chapelle de la cathédrale de Valence. Écoutez les moines invisibles dont la psalmodie interrompt parfois la mélopée du rapsode. M. Pedrell vous apprendra qu’ils chantent un faux bourdon « du premier ton, » publié vers 1565, à Valladolid, par Tomaso de Santa Maria. L’O filii grandiose, pour triple chœur, qui termine le prologue, est issu tout entier de deux petits motifs de Comès. Et, sans doute, il ne s’agit point, cette fois ni jamais, d’une simple paraphrase, encore moins d’un emprunt matériel et d’une sèche citation. En ceci comme en tout, « il y a la manière, » et celle de M. Pedrell vaut par la largeur et par la liberté. Comparons les deux thèmes de Comès, auxquels le musicien lui-même nous renvoie, avec le triple chœur qu’il en a fait, comme le fleuve de la source, jaillir et ruisseler ; nous comprendrons aussitôt quels trésors d’harmonie l’art des vieux maîtres recèle et peut livrer à qui sait l’agrandir et le fortifier de toutes les puissances de l’art contemporain.

C’est de la même façon, par la transformation et le développement, que M. Pedrell a traité les thèmes populaires. Ils fourmillent en son œuvre et j’admire comment, loin de la fractionner, ils la font harmonieuse, l’organisent et l’équilibrent. Jamais ils ne lui donnent l’aspect d’une mosaïque ou d’un pot-pourri. Sans doute la musique de M. Pedrell est d’un archéologue ou d’un érudit ; mais elle est aussi d’un artiste. Beaucoup plus que la volonté et que l’effort, elle atteste l’inspiration spontanée ; elle a l’unité, la souplesse et le fondu de la vie.

La scène de la cour d’amour me paraît un tableau de maître. Il mériterait que le directeur d’un de nos concerts (c’est surtout à M. Bordes que je pense) le détachât pour l’exposer parmi nous. Là s’enchaînent les plus originales mélodies. Là de galans dialogues