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récitatif dont a si prodigieusement abusé le maître allemand. Le récitatif russe est mélodique, et la déclamation, sans rien perdre de son caractère, acquiert par un moyen idéal (le mélisme) un intérêt plus décidément lyrique[1]. »

Autant que la musique russe, c’est la sienne même que M. Pedrell analyse en ces termes, et voici les traits par où il achève de la définir. « J’estime qu’il ne faut pas concentrer tout l’intérêt dans l’orchestre, sous peine de détruire l’importance que possède en réalité la voix dans le drame. L’orchestre ne doit pas exposer de ces thèmes qui réduisent les personnages à ne plus faire entendre que des fragmens de mélopée ou de récitatif, lesquels ne possèdent aucune valeur musicale et n’offrent pas un sens précis[2]. »

Mais tout cela — nous le répétons parce que l’auteur y insiste le premier — tout cela n’est que la forme, le procédé de la musique. C’est le fond et l’élément primitif, c’est en quelque sorte l’atome ou la cellule vivante, en un mot c’est la mélodie, que l’auteur de Los Pirineos s’est promis de renouveler et d’affranchir. Son œuvre maintenant va nous dire comment il y a réussi et si vraiment le musicien d’Espagne a su chanter, selon sa propre expression, avec la voix de sa patrie.


II

L’ouvrage de MM. Balaguer et Pedrell, qui participe de l’épopée autant que du drame, embrasse une période de près de soixante-dix ans. Il se divise en un prologue, où la voix d’un rapsode chante la gloire des Pyrénées, et trois tableaux ou « journées. » La première se passe en 1218, la seconde en 1245 et la troisième en 1285.

Première journée. La scène est au château de Foix. Deux trouvères exilés de Provence, Sicart et Miraval, y ont cherché refuge. Ils s’entretiennent du malheur des temps et de la guerre. Le comte est, dit-on, prisonnier du roi de France et pendant que dans Montségur assiégé ses troupes luttent encore, son autre ennemi, l’allié des Français, le légat du pape, vient prendre au nom du Saint-Siège possession de sa demeure. La comtesse ne saurait défendre le château, n’ayant autour d’elle que des femmes, des poètes, des musiciens et des jongleurs. Et pourtant elle ne craint rien, se souvenant que naguère, en un pareil danger, les dalles se soulevèrent d’elles-mêmes et que des

  1. Por nuestra musica, p. 10.
  2. Ibid., p. 35.