Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/699

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

seigneurs et celle des monastères contre les évêques. Il a montré l’action parallèle de ces deux forces populaires, et l’on peut dire républicaines, contre l’oligarchie féodale. « Les communes, disait-il, ont marché dans la route et sur les pas des monastères, parce que la même situation a amené les mêmes résultats. » — Je renvoie le lecteur aux développemens du sagace historien sur ce thème. Et si vous récusez Guizot, qui passerait aujourd’hui pour un sombre clérical, je vous renvoie à Voltaire. Ce grand ennemi des moines a toujours fait exception pour les bénédictins ; il parlait d’eux avec sympathie et respect, comme en doit parler un lettré ; il écrivait à leur sujet : « Ce fut une consolation qu’il y eût de ces asyles ouverts à tous ceux qui voulaient fuir les oppressions du gouvernement goth et vandale. Presque tout ce qui n’était pas seigneur de château était esclave : on échappait, dans la douceur des cloîtres, à la tyrannie et à la guerre… Le peu de connaissances qui restait chez les barbares y fut perpétué : peu à peu, il en sortit quelques inventions utiles. »

Et quel moment choisit-on pour demander aux bénédictins l’abandon de toute leur tradition ? Celui où le maître qu’ils révèrent les en a fortement imbus. Dom Guéranger a légué à ses fils comme un dogme ce précepte de l’étroite subordination au pontife romain qui fut la pensée dirigeante de sa vie. Il leur a soufflé son ultramontanisme intransigeant. Je n’ai pas à le juger de ce chef. Si j’eusse été mêlé aux choses de ce temps, je crois bien qu’en plus d’une occasion j’aurais pris parti contre lui avec Mgr Dupanloup, le Père Gratry, et tous ceux qui voulaient garder à l’Eglise de France une physionomie nationale, — je ne dis pas gallicane, — une vie respectueusement distincte de la vie romaine. Mais ces vieux débats sont hors de cause : je n’en parle que pour signaler dans l’esprit survivant de dom Guéranger une difficulté de plus. A quoi bon la soulever, aller forcer dans leurs retranchemens des neutres, des gens inoffensifs ? C’est peut-être le summum jus du légiste ; c’est à coup sûr une sottise politique. L’art politique est fait de mesure, de ménagemens, il sait discerner le possible et se garder des brutalités inutiles. Ceux qui l’ignorent pourraient l’apprendre dans la Règle bénédictine : « Que toutes choses soient faites avec mesure, à cause des faibles, et de manière à ne gêner personne. » — Demander à des hommes, sans nécessité, un sacrifice au-dessus de leurs