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absolue de tous au pouvoir librement délégué par tous, pour fin le sacrifice perpétuel de chacun à autrui. La préoccupation fondamentale revient dans la règle en maint endroit, sous toutes les formes : « Que toutes choses soient faites avec mesure, à cause des faibles. » Elle inspire au législateur des prescriptions de détail d’une délicatesse maternelle.

Sont-ils malheureux, ces hommes qui siègent dans le chœur ? Il n’y paraît guère sur leurs physionomies : elles respirent la fierté intime et le contentement du sort librement choisi. Maintes fois, pendant qu’ils mûrissaient leurs vœux, on leur a lu la formule prémonitoire : « Voilà la loi sous laquelle tu veux combattre ; si tu peux l’observer, entre ; si tu ne le peux, va en liberté. » — Ils sont entrés, ils n’aspirent qu’à rester. Les entend-on se plaindre ? Demandent-ils qu’on les protège ? Ils n’implorent que la protection de Dieu. Sont-ils nuisibles à d’autres ? Ils ne répandent autour d’eux que des bienfaits. Alors, pourquoi les inquiéter dans la condition qu’ils ont volontairement élue ? Pourquoi ? Pourquoi ?

Je m’adressais cette question, à côté d’eux : je cherchais en toute bonne foi l’argument, le prétexte plausible qu’on peut invoquer contre ceux-ci. Je n’en trouvais point. Je comprends à la rigueur, — j’en dirai franchement ma pensée, et comprendre n’est pas approuver, — la guerre que l’on mène contre d’autres ordres religieux. Elle fait sourire le philosophe, elle scandalise quelques ingénus, tant elle contraste avec les principes qui sont censés régir notre droit public. Liberté, égalité… Principes et mots que personne ne prend au sérieux ; belles enseignes repeintes pour achalander la maison ; d’un accord tacite, les cliens n’y demandent pas les articles promis sur l’affiche et qu’on n’a pas encore fabriqués. Il y a bien peu de Français qui soient sincères, lorsqu’ils s’indignent de cette opposition flagrante entre la théorie idéale et la pratique réelle. Chacun sait aujourd’hui qu’on ne change pas avec des mots la complexion, les mœurs, les sentimens, les gestes héréditaires d’une nation vieille de tant de siècles.

Chacun sait que sur la plupart des objets, et en particulier dans l’antique lutte du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel, nos gouvernemens, quels qu’ils soient, continuent les traditions de leurs devanciers. Empire ou Restauration, monarchie parlementaire ou république, les maîtres de l’heure se