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UNE
VISITE Á SOLESMES

Je passais à proximité de Solesmes. J’ai voulu visiter la célèbre abbaye avant que ses portes ne se ferment sur le cloître déserté.

La matinée était belle à souhait, les horizons fondus dans cette lumière languissante où l’été mourant de septembre met un deux sourire d’adieu. Un soleil déjà moins hardi dorait les premières rousseurs de l’automne, sur les bois, les eaux, les châteaux culminans ; ils ont si bon air, dans cette région où notre race s’est faite élégante et délicate comme la nature qu’elle imitait. Entre Sablé et Juigné, le val de Sarthe offre en raccourci les grâces nobles du val de Loire : même ciel fin et léger, même accortise du paysage, un rien de mollesse dans la force de la terre, un parfum discret du cœur de la vieille France.

Les hautes murailles du monastère, si semblables à celles du mont Saint-Michel, surplombent la paisible rivière. L’œil est d’abord déconcerté par l’appareil tout nouveau de ces lignes anciennes. Pourtant rien ne donne ici l’impression d’un pastiche, d’un de ces jeux artistiques où s’amuse notre dilettantisme, quand il restaure les monumens du passé. Solesmes, rêve d’autrefois réalisé par des hommes d’aujourd’hui, fait penser à l’arbre vigoureux qui repousse naturellement sur la souche intacte. Dans cette montagne de pierres neuves, cimentées par l’esprit qui assembla leurs aînées, on sent la même volonté de faire un bail avec les siècles.

La route directe de Sablé à l’abbaye ne ménage aucune vue sur les récentes constructions des moines. Pour voir surgir dans