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Tandis qu’à l’horizon se flétrit la lumière,
Reviennent après l’œuvre auguste et coutumière.
Noir sur le fond vermeil du ciel incandescent,
Des sonores forêts le bûcheron descend.
Dans l’immense unité de leurs tâches diverses,
L’hymne des socs s’ajoute au cantique des herses.
Dans les tièdes vallons, sur les ravins penchans,
Bergers et laboureurs ont confondu leurs chants,
Et le râle amoureux du mâle ardent se mêle
Aux lamentations de sa douce femelle.
Sentant croître l’orgueil héréditaire en eux,
Les indomptables boucs et les béliers haineux,
De qui l’œil étincelle et dont la toison sue,
Heurtent leurs fronts ainsi qu’une double massue.
L’air vibre par instans de farouches abois
Dont retentit au loin la profondeur des bois,
Et qui hâtent, dans une instinctive panique,
La mamelle pesante et la corne cynique.
Tel un flot monstrueux qui ne laisse après soi
Qu’un souffle de tempête en un gouffre d’effroi,
L’étalon qui hennit et le taureau qui beugle
Ont ébranlé le sol comme une force aveugle.
Et de ces pis gonflés, de ces mufles baveux,
Des torses, des poitrails, des crins et des cheveux,
Et de toute la horde irritable et grossière
S’exhale une acre odeur de rut et de poussière ;
Et ces croupes, ces dos, vers les seuils attendris,
Vers les seuils, ô divin repos, où tu souris,
S’effacent, et plus vague à l’horizon plus terne,
L’appel brutal avec la voix humaine alterne.
Mais l’esprit par-delà les troupeaux haletans
Et les cris effarés plonge en la nuit des temps,
Et scrutant du passé les formidables traces,
Retrouve la vigueur éternelle des races
Chez le rude bouvier et l’agreste pasteur.
Et le reflet suprême et transfigurateur
Dont la bande rustique est comme enveloppée
La couvre d’un manteau de gloire et d’épopée.


LEONCE DEPONT.