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C’est l’époque où sur les guérets bientôt déserts,
Flottent, tel un encens, les brumes apparues
Autour de la profonde empreinte des charrues,
Où les derniers refrains se croisent dans les airs.

L’homme grave et hautain dont la silhouette ample
Semble grandie encor par le soleil couchant,
Depuis l’aube sillonne, inlassable, son champ ;
Et l’astre extasié s’attarde et le contemple.

Car ses bras musculeux guident sans dévier
Deux taureaux indomptés qui bavent leur écume,
Et dont l’œil d’un reflet sanglant parfois s’allume,
Car l’attelage est rude et hardi le bouvier.

L’irrésistible soc dans la glèbe tenace
Pénètre lentement ; farouches, sculpturaux,
D’un pas majestueux avancent les taureaux,
Dont le regard fulgure et dont le front menace.

D’un bout du champ sans cesse ils vont à l’autre bout,
La fumée aux naseaux, tendant la tête fourbe
Sous l’implacable joug qui les lie et les courbe,
Les veines charriant, une lave qui bout.

Et tous deux, cependant que meurt le jour fragile,
D’un effort contenu dont, joyeux, l’homme sent
L’ardeur exaspérée et le rythme puissant,
Entraînent la charrue et soulèvent l’argile.


L’ÉPOPÉE DU RETOUR


Le couchant a rougi le faîte des coteaux.
Sous l’éclat triomphal des feux occidentaux,
Dans la splendeur de pourpre et d’or jamais tarie
Que la brise des soirs comme un fleuve charrie,
Parmi des bruits confus et de sourdes rumeurs,
Tous, patres et bouviers, vignerons et semeurs,
Les lents troupeaux, brebis plaintives, chèvres souples,
Les pacifiques bœufs qui cheminent par couples,
Les tiers chevaux traînant les attelages lourds,
S’étant sentis frôlés par l’ombre de velours,