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De temps en temps, parmi l’harmonieux silence,
Jaillit d’un gosier jeune un chant sonore et clair
Dont vibre longuement la pureté de l’air,
Et le refrain en chœur des poitrines s’élance.

Elles rentrent ainsi sous les cieux assoupis,
Et toutes par degrés sont bientôt confondues
Au vague demi-jour des pâles étendues,
Sous leur double fardeau de misère et d’épis.

Or, comme elles, noyé dans l’ombre et le mystère,
De la glèbe divine éphémère glaneur,
J’ai voulu recueillir une part de bonheur,
Et, fétu par fétu, lier ma gerbe austère.

Mais quand je suis venu dans le champ déserté,
Vainement j’ai cherché sur l’idéale argile
Un peu de joie éparse ou de gloire fragile,
Le moissonneur avare avait tout emporté !


LE SANG DES VIGNES


Or, les foins sont coupés et la moisson est faite.
Voici le mois doré cher aux esprits songeurs ;
Les sentiers des coteaux vibrent de vendangeurs,
Et par les airs s’exhale une rumeur de fête.

C’est l’époque où la vigne épanche un sang divin,
Ainsi qu’au temps joyeux des bachiques amphores,
Et les pampres vermeils dans les cuves sonores
Laissent choir la vendange et fermenter le vin.

Les groupes sont bruyans comme une antique horde ;
C’est la fête des clos, la fête des pressoirs ;
L’odeur des raisins monte en la pourpre des soirs,
Et la liqueur ruisselle où la gaîté déborde.

Les échos semblent las de répondre aux refrains,
Dont le rythme rustique et bondissant les frappe ;
L’enfant cueille le fruit, l’homme écrase la grappe,
Et l’ivresse jaillit en rires souverains.