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il faudrait toute une « philosophie de l’histoire » derrière les thèmes dramatiques dont elle serait la solide armature.


Or, la « philosophie de l’histoire » de M. de Wildenbruch est tout à fait élémentaire, si bien qu’on peut la résumer en une seule phrase : Dieu a créé le monde pour le Brandebourg, et le Brandebourg et sa dynastie l’un pour l’autre. Cet axiome, je n’ai pas besoin de le dire, ne se trouve point exprimé en autant de mots dans l’œuvre que nous venons de parcourir ; mais il s’en dégage avec une éclatante évidence. Les événemens les plus considérables des temps modernes, — qui d’ailleurs ne sont pas toujours ceux qu’on suppose, — ont été préparés et conduits par la destinée de telle sorte qu’à la fin du XIXe siècle, le Brandebourg se trouve placé à la tête de l’empire allemand restauré par les descendans de ses anciens margraves, en attendant l’heure où il recueillera l’héritage des Habsbourg, et reconstituera le Saint-Empire. Après quoi… M. de Wildenbruch n’a pas encore exprimé le rêve de la monarchie universelle, qui recommence de période en période ; mais on voit bien qu’il le pressent, et je ne serais point étonné de le voir bientôt arriver au Schauspielhaus, incarné en Charlemagne ou en Barberousse. — Une telle conception de l’histoire moderne suffit sans aucun doute à faire des pièces patriotiques, — et c’est quelque chose ; mais comment supporterait-elle des chefs-d’œuvre ?

Il faudrait pour cela qu’elle se réalisât en des thèmes dramatiques d’une grandeur suprême, d’un intérêt intense ; et tels ne sont pas ceux que l’histoire du Brandebourg fournit à M. de Wildenbruch. Car les Hohenzollern, autour desquels elle se meut, n’ont point été une famille à tragédies. Epris d’ordre et de régularité, ils ont cherché dès l’origine à organiser fortement leurs Etats, sans fournir d’Atrides. Traditionalistes avec une persévérance exceptionnelle, ils ont poursuivi leur politique en ligne droite, sans se laisser distraire par les événemens, ni de ranger par des complications psychologiques, en princes très sûrs d’avoir le Fatum avec eux.

De temps en temps, comme sous Georges-Guillaume, leur étoile a pâli, par suite de quelque faute ou de quelque faiblesse : jamais assez longtemps pour risquer de s’éteindre. Et bientôt elle retrouvait son éclat. Leurs vertus sont des vertus bourgeoises, civiles et militaires : très favorables aux progrès de