Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/566

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un ensemble très inégal et très discuté. Les uns applaudissent, les autres se méfient ; M. de Wildenbruch ne s’arrête jamais. Il se promène à travers les siècles avec une tranquille assurance. Il y moissonne des gerbes de poésie lyrique et dramatique où il y a certainement de mauvaises choses, mais où il y en a aussi de bonnes. J’ignore s’il les distingue lui-même, et n’ai pas l’intention de chercher dans ces notes à en faire le triage : ce sera l’affaire de la postérité, qui accomplit sans fatigue ces besognes-là. Toutefois, je dirai sommairement que M. de Wildenbruch me paraît un poète bien doué et qui possède le sens dramatique de l’histoire, mais qu’une production excessive a dû gâter ; qu’il abuse des « ficelles, » comme le font parfois les écrivains de théâtre quand ils savent trop bien leur « métier, » et consentent à s’adapter aux traditions de telle ou telle scène, aux exigences de tel ou telle artiste, aux habitudes de tel ou tel public ; qu’il n’a point, quand il reconstitue des milieux ou des caractères, ce sentiment nécessaire du réalisme dont M. Gerhardt Hauptmann a donné un très bel exemple dans son Florian Geyer ; qu’il se contente avec une facilité complaisante d’une « couleur locale » un peu vaine ; que, fort adroit dans l’art de prêter à ses personnages des expressions du vocabulaire de leur temps, il ne réussit qu’en partie à nous les faire accepter comme des êtres vivans ; enfin, pour tout résumer, qu’il est avant tout un littérateur qui fait de bonne littérature, — mais toujours de la littérature, même quand il est inspiré des sentimens les plus sincères. Nous le reconnaîtrons bientôt dans la partie de son œuvre que nous allons tâcher d’examiner ici : la succession des pièces qu’il a découpées dans l’histoire du Brandebourg, selon l’exemple donné par Shakspeare dans son illustre série des Rois. A quelque degré qu’elle soit réussie, la tentative est de vastes proportions : il m’a paru curieux de chercher les sujets et surtout les idées que l’histoire presque prodigieuse du développement de la Marche a fournis à un poète imprégné de loyalisme et d’un esprit profondément traditionnaliste.


Bien qu’il soit à un haut degré un « animal littéraire, » M. de Wildenbruch n’estime pas que la littérature puisse être un but en soi. Il est, au contraire, très résolu à l’asservir à ses idées, ou plutôt à son idée, car je crois bien qu’il n’en a qu’une, ou que du moins il en a une qui résume toutes les autres : la foi dans