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dessiné la puissante figure, et ce vieux rabbin Siebel, tel que les Erckmann-Chatrian le connurent et nous le présentent, et ces mentalités d’apôtre, de savant, d’agitateur, dont M. Jules-Philippe Heuzey, dans son curieux roman : Fils d’Abraham, nous fait pénétrer les intimes arcanes. Et pendant que le Congrès continuait d’élaborer un tome nouveau — bien nouveau — de l’histoire de France et de l’histoire d’Europe, ces réminiscences de roman continuaient de nous assaillir, et c’est à l’histoire au judaïsme que nous songions. Un sermon rabbinique, depuis, nous apporta l’excuse de cette longue distraction. « L’esprit de la Révolution et l’esprit de la religion juive » est le même, lisions-nous dans ce sermon ; et, en dernière analyse, l’un procède de l’autre. La Révolution a eu pour effet providentiel de remettre le judaïsme dans la voie où il doit accomplir sa mission… Israël est un semeur colossal qui s’avance, le front auréolé par un relief du Sinaï, dans l’incommensurable champ des siècles… Le semeur biblique est encore loin d’avoir fini sa journée ; mais à chaque pas qu’il fait en avant, il y a autour de lui toujours plus de lumières, toujours plus d’apaisement, toujours plus d’harmonie et de concorde. » Ainsi parlait en 1889, à Nancy, l’un des prédicateurs les plus distingués du judaïsme actuel, M. Isaac Bloch ; ainsi dessinait-il une filiation entre l’immortel judaïsme et le jeune humanitarisme révolutionnaire. Le judaïsme contemporain a fait descendre son Messie du ciel sur la terre ; il ne l’attend plus sous la forme d’un prophète envoyé par Jehovah pour rassembler l’humanité dispersée ; le Messie nouveau est immanent à cette humanité ; il est en quelque façon, comme le Dieu de Renan, un perpétuel devenir ; il est l’humanité elle-même se perfectionnant, se pacifiant, se débarrassant de tous obstacles, se déblayant de toutes frontières ; il sera la résultante finale de l’humanitarisme victorieux. Rappelons-nous le mot de Bossuet à propos de Clovis : « Dieu montrait qu’il voulait que les conquêtes des Français étendissent celles de l’Eglise ; » le conflit des deux Frances serait-il le conflit de deux messianismes ? On nous pardonnera, au sortir d’un congrès utopique, d’avoir nous-même quelque peu rêvé.


X

Le duel du concret et de l’abstrait, de l’histoire et de la chimère, de la tradition longtemps enracinée et d’un prophétisme