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général de Miribel était « très mal accueillie par tous les républicains… » et ce fut tout ; il n’y eut même point à la Chambre un de ces soubresauts que l’on appelle des interpellations, et par lesquels les collectivités politiques se consolent de leur impuissance à construire en faisant effort pour détruire. Un avait la preuve à l’extrême gauche, — et l’on s’y dut résigner, — que l’heure n’était pas encore venue où les notes politiques signées de M. Henri Brisson auraient quelque effet rue Saint-Dominique.

Mais, à la date du 9 mai 1890, l’un des publicistes les plus chers à la gauche, après avoir, par égard pour la mémoire de Gambetta, félicité M. de Freycinet, disait à son parti trop aisément rassuré : « Attendez encore dix ans : si vous n’apportez pas de modifications radicales dans le recrutement du corps d’officiers, vous verrez quel esprit dominera dans l’armée. » L’attente de M. Ranc dura moins de dix ans ; avant le délai que lui-même avait fixé, l’opinion républicaine et l’omnipotence parlementaire se ressaisirent… L’état-major, cette création commune du général de Miribel et de M. de Freycinet, fut suspecté, calomnié, mis à la merci des orages politiques et judiciaires. L’armée fut à son tour outragée ; son mutisme répondit pour elle. Alors, de dépit, on commença les « modifications radicales ; » et ces voies de fait durent encore.


V

Notre magnifique relèvement militaire, que le vieil esprit républicain, par une tolérance provisoire, avait permis à la République d’accomplir, facilita l’œuvre de la diplomatie française : l’alliance franco-russe en fut le fruit. La France entière y applaudit ; les gardiens intransigeans de l’idéal républicain s’en inquiétèrent. Rogeard, un ancêtre, avait jadis prophétisé que si l’Europe n’était pas « barbarisée » par la Russie, elle serait émancipée par la France : qu’advenait-il donc de l’Europe et de l’infaillibilité républicaine de Rogeard ? La nouvelle alliance avait contre elle un souvenir étrange, demeuré classique parmi les vétérans des gauches : le fameux cri de « Vive la Pologne ! » auquel Charles Floquet avait dû son illustration. Elle avait contre elle les vieilles préventions des penseurs et des écrivains les plus respectés du parti, Henri Martin, Michelet : l’un, en 1866, avait écrit tout un livre : La Russie et l’Europe, pour essayer de