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leurs complimens. Mais la maçonnerie fut très déçue ; pour elle, le mouvement tourna mal. Il en fut de cette histoire comme de ces comédies honnêtes, dans lesquelles la voix d’un homme consciencieux, surgissant à l’improviste, soulage et réjouit le public en débrouillant un perfide imbroglio. M. Sansbœuf, président fondateur de l’Association des gymnastes de la Seine, n’avait pas attendu l’ordre de la Ligue ou des loges pour organiser, à travers la France, des sociétés de gymnastique : dès 1875, une fête fédérale de gymnastique avait eu lieu. Le journal le Gymnaste, — vrai document pour l’histoire de cette époque, — avait eu à se plaindre, peu à peu, de l’incursion des hommes politiques dans ces sociétés de jeunes et braves éphèbes qui, sans distinction de parti, ne songeaient qu’à la France. Les banquets qui succédaient aux fêtes fédérales offraient à cet égard des symptômes peu réconfortans. A Angoulême, à Amiens, en 1883 et 1884, les hommes politiques, amenés par le ministre de l’Intérieur, finirent par être en telle affluence, que les gymnastes, tout doucement, passèrent du centre au bout de la table, et du bout de la table à la porte du banquet : leur appétit et leur dignité déplorèrent l’aventure, et leur journal se montra froissé.

C’est sur ces entrefaites qu’en mai 1885, l’Union des sociétés de gymnastique de France fut conviée par Macé et ses amis à s’entendre avec la Ligue de l’Enseignement pour la délivrance des brevets gymniques. La commission de l’Union était favorable, M. Sansbœuf, très courageusement, dénonça l’« exploitation de l’idée de patriotisme par la maçonnerie, » et fit repousser la proposition. Par cinquante et une voix contre vingt-cinq, les légats de l’athlétisme français répudièrent avec horreur la perspective de faire œuvre confessionnelle et de transformer leurs ceintures de gymnastique en tabliers maçonniques. Ce fut pour les loges un très gros échec. Si la Ligue de l’Enseignement se fût assuré une sorte de monopole pour la délivrance, des certificats d’exercices physiques, elle aurait eu prise, par là, sur tous les pupilles de l’enseignement libre : l’intervention de M. Sansbœuf faisait s’effondrer une immense espérance. Valait-il la peine, pendant des mois, de déroger au dogme humanitaire et de multiplier les coquetteries à l’endroit des patriotes, pour constater, en définitive, que les gymnastes, inaccessibles à toute avance, refusaient de s’exercer par-dessus le cadavre d’Hiram ? Et n’eût-on pas mieux fait, en 1884, au lieu de planter à l’ombre de