Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/476

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

laissé contre lui aucune animosité. Ses adversaires même ne lui refusaient pas leur sympathie. On était sûr d’ailleurs qu’à l’expiration de son second mandat, il se conformerait à une tradition bien établie et n’en solliciterait pas un troisième. Il était donc aimé des uns et estimé des autres, sans porter ombrage à qui que ce fût.

Il y a eu jadis, en Amérique, des présidens qui faisaient sentir le poids de leur gouvernement. Ils avaient des idées à eux et ils cherchaient à les faire prévaloir ; mais M. Mac-Kinley n’était pas de ce nombre. Si on pouvait lui faire un reproche, ce n’était pas celui-là. Il avait plutôt une disposition marquée à chercher l’opinion dominante et à y conformer sa politique. C’est ce qu’il a fait au moment de la guerre de Cuba. Si le pays veut commettre des fautes, il ne l’en empêchera pas : il les commettra plutôt lui-même avec le pays. Mais cela n’a pas diminué sa popularité. La guerre contre l’Espagne a bien tourné. Les dangers du militarisme, aperçus par les gens à vues lointaines, n’ont pas encore produit les conséquences qu’on peut en redouter. La prospérité matérielle de l’Amérique a toujours été en augmentant. Son autorité morale s’est accrue parmi les puissances européennes. La présidence de M. Mac-Kinley a donc été heureuse, et tout permet de croire qu’elle a été, en somme, suffisamment prudente et habile pour préparer un avenir non moins heureux. Ce que nous venons de dire de son caractère montre d’ailleurs que M. Mac-Kinley n’est rien moins qu’obstiné dans ses idées, et qu’il sait au besoin les adapter aux circonstances. Il a été par exemple un protectionniste effréné. Ceux que nous avons en France, et même en Europe, ne sont rien sous ce rapport à côté de lui. La première fois qu’il a attiré l’attention du monde, dont il provoquait en même temps l’inquiétude, il faisait campagne pour faire voter par les chambres des tarifs comme on n’en avait encore vu. Et il a réussi ; ses tarifs ont élevé autour des États-Unis des murailles douanières d’une hauteur décourageante. Mais depuis, — et peut-être les tarifs Mac-Kinley y ont-ils été pour quelque chose, — l’industrie américaine a pris des développemens prodigieux. Ses produits s’étant multipliés avec une rapidité et une abondance singulières, il a fallu leur assurer des débouchés. M. Mac-Kinley s’est retourné aussitôt. Il a senti que l’intérêt de son pays exigeait dorénavant des conditions de vie économique différentes, et qu’il existait entre les grandes nations productrices une solidarité indispensable à l’échange de leurs produits. Le protectionniste, le prohibitionniste d’hier est devenu un partisan des traités de commerce. Il l’a dit la veille du jour où il a été frappé ; il allait le répé-