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plutôt à raconter l’histoire des dogmes qu’à analyser leur signification ; mais d’autant plus grande était la portée scientifique qu’il avait su lui donner. De l’aveu même des écrivains protestans, personne ne connaissait mieux que lui la primitive église chrétienne : ses études sur les Hérésies, sa Réforme, sa biographie de Luther, étaient admirées comme des modèles d’érudition à la fois et de critique ; et puis l’on vénérait en lui l’ancien compagnon de Gœrres et de Brentano, l’un des chefs du glorieux mouvement catholique de 1830. Or, lorsque, en 1870, le Concile du Vatican eut proclamé le dogme de l’infaillibilité, Dœllinger, au lieu de se borner à raconter l’histoire du dogme nouveau, se refusa formellement à l’admettre, et mit à son refus une insistance si hargneuse et si agressive que son évoque se vit contraint de l’excommunier. Il n’en garda pas moins son titre de professeur à l’Université de Munich, — dont il redevint recteur en 1871, — et n’en continua pas moins à publier des études d’histoire religieuse, mais conçues, ’comme on le devine, dans un esprit tout différent de celles qui avaient fait autrefois sa gloire. Lui-même aimait à répéter que « si son âge le lui permettait, il récrirait en entier son Histoire de l’Église, où il n’y avait pas une seule ligne qui pût rester debout. » Au point de vue confessionnel, il hésita quelque temps entre plusieurs sectes, mais ne se joignit, en fin de compte, à aucune : de telle sorte qu’au moment de sa mort, en 1890, cet homme, dont naguère le monde catholique tout entier recueillait les avis, n’avait plus pour coreligionnaires qu’un petit nombre d’amis, parmi lesquels son élève M. Friedrich, devenu ensuite son collaborateur.

C’est précisément M. Friedrich qui a entrepris la tâche de nous raconter sa vie : tâche à mon avis tout à fait impossible, car la vie de Dœllinger est formée de deux périodes qui se contredisent l’une l’autre, et l’on ne saurait attendre d’aucun homme que, comprenant et admirant l’une de ces périodes, il pût juger l’autre avec une impartialité suffisante. L’impartialité, en effet, manqua de la façon la plus fâcheuse aux deux premiers volumes de l’énorme ouvrage de M. Friedrich. Non seulement Dœllinger ne nous y est point présenté comme l’ardent défenseur de l’orthodoxie, le champion intrépide du trône et de l’autel, que nous savons qu’il a été pendant un demi-siècle ; mais l’auteur néglige même, le plus souvent, d’insister autant qu’il aurait dû le faire sur ce qui a constitué son originalité et sa valeur de savant : tant il est sans cesse préoccupé de justifier le Dœllinger d’après 1870, ou plutôt de nous persuader que c’est le reste du monde et non Dœllinger qui, alors, a changé.