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Et c’est ainsi qu’avant que s’éteignît dans l’ombre
Ce feu dont les tisons ont mordu la nuit sombre,
O Passé, j’ai voulu que ta flamme suprême

Couronnât et rougît une dernière fois,
Comme d’un éclatant et pourpre diadème,
Le visage brûlant que je penchais sur toi.


LA FLEUR DU SOIR


Ne crois pas, ô passant, à me voir, quand tu passes,
Les mains vides, assis à mon seuil où s’enlace,
Au-dessus de ma tête et de mes cheveux blancs,
A soi-même le lierre égal et permanent,
Que je ne sache plus que la terre éternelle,
De saisons en saisons toujours se renouvelle.
Je n’ignore pas plus ces choses qu’autrefois
Quand, pour louer les dieux qui revivaient en moi,
Ou pour en couronner les nymphes des fontaines,
Toutes les fleurs tentaient mes deux mains incertaines.
Mais aujourd’hui, plus sage et de mon seuil, j’attends
Que l’été moins hâtif succède au court printemps,
Et lorsque vient l’automne, aux dernières écloses,
Je choisis longuement ma rose entre les roses,
Car peut-être il faudra que cette fleur cueillie
Parfume jusqu’au soir le reste de ma vie.


LE SOMMEIL


Penses-tu que ces fleurs, ces feuilles et ces fruits,
Et cet âpre laurier plus amer que la cendre,
Penses-tu que mes mains pour eux les aient cueillis ?

Si j’ai mêlé tout bas à l’onde des fontaines
Les larmes que leur eau pleure encore aujourd’hui,
Crois-tu que j’ignorais combien elles sont vaines ?

Si, debout, j’ai marché sur le sable changeant,
Était-ce pour marquer mon pas sur son arène,
Puisqu’il n’en reste rien quand a passé le vent ?