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Et que cet âpre jour qui s’achève et qu’embaume
Une odeur d’eau qui songe entre les joncs mouillés
Finirait mollement par cette lune jaune
Qui monte et s’arrondit entre les peupliers ?


L’OMBRE NUE


J’ai fait de mon Amour cette blanche statue.
Regarde-la. Elle est debout, pensive et nue,
Au milieu du bassin où la mire son eau,
Qui l’entoure d’un double et symbolique anneau
De pierre invariable et de cristal fidèle.
La colombe en passant la frôle de son aile,
Car l’Amour est vivant en ce marbre veiné
Qui, de son long regard que rien n’a détourné,
Contemple, autour de lui dans l’eau proche apparue,
La fraîcheur de son ombre humide, vaine et nue.


STANCES


Si je vous dis, ce soir, en respirant ces roses
Qui ressemblent au sang que l’on répand pour lui :
L’Amour est là dans l’ombre et son pied nu se pose
Sur le rivage obscur du fleuve de la nuit.

Si je vous dis : l’Amour est ivre et taciturne
Et son geste ambigu nous trompe, car souvent
Il écrase une grappe au bord rougi de l’urne
Dont il verse la cendre aux corbeilles du vent.

Successif ouvrier de bonheur et de peine,
Il ourdit tour à tour sur le même fuseau
Les deux fils alternés de l’une et l’autre laine
Qu’il emmêle, débrouille et confond de nouveau.
 
Prenez garde, l’Amour est vain et n’est qu’une ombre,
Qu’il soit nu de lumière ou soit drapé de nuit,
Et redoutez sa vue étincelante ou sombre
Lorsque sur le chemin vous passez près de lui.