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faire peur, Evelina, les Mystères du château d’Udolphe. Quoi encore ? Les épigrammes de Peter Pindar, les chansons populaires, bachiques, patriotiques de Dibdin ou du capitaine Morris. Le grand poète du temps est un paysan écossais. Il improvise des chants sublimes en poussant sa charrue et en regardant la vapeur matinale qui monte des sillons. Mais qui connaît, à Londres, le nom de Burns ? Un autre poète s’est installé dans une maisonnette, au pays des Lacs, seul avec la nature qui a pour lui des confidences et des émotions incomprises du reste des hommes. Mais qui songe à lire les vers de Wordsworth ?

Dans une petite rue de Soho, à l’enseigne de la Tête de Turc, se sont réunis longtemps quelques hommes de lettres ; mais, dans cette Académie anglaise, on fume et on boit plus qu’on ne cause et, quand on discute, on se dispute. Chez Reynolds, des convives de choix écoutent Burke qui disserte sur la politique, l’histoire et l’esthétique. À ces soupers on mange médiocrement et l’on bâille quelquefois. Il existe à Londres deux ou trois bureaux d’esprit. C’est là que le « bas-bleu » est venu au monde. Si Rowlandson, Bunbury, Woodward, Nixon et leurs compères nous y conduisaient, nous verrions le vieux Johnson, infirme, disgracié, presque repoussant de laideur et de malpropreté, trônant au milieu de jolies femmes qui reçoivent presque à genoux ses complimens ou ses boutades. Mais les caricaturistes ne nous conduisent pas dans ces maisons lettrées par l’excellente raison qu’ils n’y fréquentent point. Çà et là, par échappées, apparaissent dans leurs œuvres l’Eglise, les Universités, le journalisme, c’est-à-dire les pouvoirs, anciens ou nouveaux, dont c’est le devoir et la mission de répandre autour d’eux la lumière ou de proposer l’exemple. On se rappelle peut-être la « congrégation endormie, » que nous a montrée Hogarth. Elle ne s’est pas réveillée, apparemment, puisque Rowlandson recommence le même sujet. Ses clergymen, lorsqu’ils sont jeunes, s’offrent à nous avec une élégante au bras ; ils semblent aussi vains et aussi frivoles que nos « petits abbés. » Vieux, ils se confinent dans un tête-à-tête silencieux avec la bouteille de Porto. L’un d’eux vient d’être arraché, presque de force, par son sacristain à ce doux farniente pour enterrer l’enfant d’un de ses paroissiens. Près de la fosse ouverte, furieux, la perruque de travers, il bégaie d’une langue épaissie, les paroles du service et semble prêt à jeter le livre au nez des parens.