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monter plus haut. On soupire, on bâille deux ou trois fois, puis on recommence à cultiver, à surnourrir, à caresser la bête humaine. Si bien qu’il reste un trop-plein d’indulgence et de tendresse à dépenser sur les autres animaux, compagnons de nos sports et prolongement de notre propre existence, sur le chien de chasse et sur le cheval de course.

La politique et la religion ont leurs excentriques. Lord George Gordon, jeune homme à l’air ingénu, à la voix douce et lente, met Londres en feu au cri de : A bas les Papistes ! Lord Stanhope, beau-frère de Pitt, vient à la Chambre des Pairs armé de textes de l’Écriture qui prouvent clairement que la monarchie est abominable à Dieu. C’est un niveleur ; il prêche l’égalité entre toutes les classes et entre tous les individus. Sa fille, Lady Rachel, s’étant enfuie avec un garçon apothicaire, l’apôtre de l’égalité entre en fureur et ne veut rien entendre[1]. Sir Francis Burdett choisit l’émeute pour son sport favori. Il rêve de marcher, comme Saint Hurugues, à la tête d’une populace en délire et de prendre un palais d’assaut. Laissez-lui le temps de vieillir et ce sportsman de l’émeute finira dans la peau d’un réactionnaire endurci.

Mêmes variétés parmi les femmes. Nous ayons-les centauresses, les joueuses, les politiqueuses. En regard de Skeffington, l’homme-fille, placez la femme-garçon, Lady Salisbury. Elle va partout en habit de cheval, le fouet à la main, escortée de ses lévriers favoris dont l’aboiement vaut pour elle la plus délicieuse musique. Nous ferons tout à l’heure plus ample connaissance avec trois grandes dames que le peuple appelle les filles du Pharaon. Quant au bataillon des politiqueuses, il a pour chef Georgiana, duchesse de Devonshire, qui achète avec un baiser le vote d’un boucher ou d’un marchand de légumes, sans que son profil de Junon y perde rien de son impassible dignité. Beaucoup, enfin, se contentent d’être jolies, de s’amuser et de plaire. Faire la conquête d’un mari est le seul but de la vie pour une jeune fille. Miss Gunnings, afin de s’en assurer un, fabrique, avec la complicité de sa mère, une lettre fausse. Mais ce jeu est dangereux. Les autres usent et abusent des moyens que la nature a mis à leur disposition et poussent jusqu’à leur dernier excès

  1. Une autre fille de lord Stanhope, lady Hester, épousa un cheikh syrien et passa le reste de sa vie dans une résidence orientale où Lamartine alla lui rendre visite. On l’appelait la reine de Palmyre.