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grossièretés. Elle fit baisser la glace, montra sa vieille petite figure ridée. « Il y a cinquante ans que je suis reine, dit-elle : on ne s’était jamais permis encore de m’insulter. »

Tel est ce couple royal que Gillray a poursuivi, pendant quinze ans, de ses moqueries.

Il en est beaucoup d’injustes ; quelques-unes sont basses et indécentes. N’exhumons pas celles-là. Celles qui portent le mieux sont aussi les plus gaies et les moins amères. Elles sont relatives aux habitudes simples et parcimonieuses du roi et de la reine. Tantôt George III nous apparaît comme un dilettante qui écoute avec ravissement la plus délicieuse des musiques, et cette musique est produite par des sacs déçus qu’on fait tinter à ses oreilles. Tantôt c’est M. King, fabricant de boutons : allusion à l’une de ses occupations favorites. Plus souvent encore nous voyons le « fermier George » vaquant à ses rustiques travaux. On lui donnait ce surnom depuis certain jour où, dans le discours du trône, alors que la guerre d’Amérique troublait tous les esprits, il avait longuement entretenu le Parlement de ses inquiétudes… au sujet de la maladie des bêtes à cornes. Donc voici le fermier George, vêtu en paysan, coiffé d’un mauvais chapeau de paille. Il donne à manger aux cochons, pendant que Charlotte, la fermière, nourrit les poulets et qu’un des gardes, en uniforme, déterre des navets et des carottes avec la pointe de son sabre.

Le Repas frugal, lorsqu’on y jette d’abord les yeux, n’a rien d’une satire, moins encore d’une caricature. Quand on y regarde de près, on s’aperçoit que l’auteur, portant à son dernier degré de perfection et, peut-être, jusqu’à l’excès la méthode de son maître Hogarth, a mis de la moquerie dans les moindres détails. Le roi et la reine dînent avec des œufs et de la salade qu’on leur sert dans de la vaisselle d’or. Les précautions les plus minutieuses ont été prises pour protéger contre les taches de graisse non seulement les manches et le jabot du monarque, mais le tapis de la salle, les bras et le dossier des fauteuils. Dans ce dessin comme dans tous ceux où Gillray introduit George III, tout chandelier est muni d’un brûle-tout (save all) qui permet de consumer la bougie jusqu’au dernier atome. Les tableaux accrochés aux panneaux, les livres placés sur le secrétaire, les menus objets qui encombrent la cheminée, les sujets de la pendule, des candélabres, des chenets du garde-feu, tout chante ironiquement l’éloge de l’économie, tout nous rappelle que nous sommes chez